Publié le Samedi 27 avril 2013 à 13h17.

Act Up : « Il n’y avait pas de débat à ouvrir »

Entretien. Cheville ouvrière des mobilisations actuelles pour le mariage pour tous et contre l'homophobie, Actu Up joue un rôle pivot au sein du mouvement social sur l'ensemble de ces questions. Nous avons rencontré Cécile Lhuillier, co-présidente d’Act Up-Paris.Pourquoi avez-vous appelé à un rassemblement contre l'homophobie le 21 avril alors que la loi est votée deux jours après ?La loi qui va être votée est un dû. Toutefois elle va être votée dans la douleur, et au prix de longs mois d'homophobie débridée que nous, « trans, gouines, biEs, pédés », avons dû subir. De plus, nous n'oublions pas que le 21 avril est un funeste anniversaire : celui de l'accession au second tour de la présidentielle du Front national en 2002. Douze ans plus tard, des groupes fascisants s'approprient la rue, et tabassent des homosexuelLEs. Nous ne pouvions pas leur laisser l'espace public. Lorsqu'ils l'occupent, c'est pour nous tabasser.Est-ce que tu penses qu'une fois la loi votée, on va passer à autre chose et que l'homophobie va reculer ?Non. Cela fait des années qu'on nous dit que « tout va mieux depuis le PaCS ». Des choses ont changé, mais l'homophobie, la transphobie existent toujours. Les taux de suicides chez les jeunes LGBT, nettement supérieurs à ceux de la population générale, en sont une preuve. Le déchaînement homophobe, les violences verbales et physiques de ces derniers temps l'attestent également. Par exemple, les premiers mariages risquent de constituer une cible pour les plus fanatiques.Penses-tu que c'est parce que le PS a voulu faire une loi sur le mariage qu'on assiste au développement de l'homophobie ?C'était l'engagement 31 de Hollande. L'erreur du gouvernement, c'est d'avoir voulu « ouvrir un débat ». En adoptant cette stratégie, il a légitimé la parole homophobe : il n'y avait pas de débat à ouvrir. Sortir une frange entière de la population d'un statut de sous-citoyenneté dans lequel elle est maintenue pour la seule raison de son orientation sexuelle, ça ne se discute pas. Tout est « une bonne occasion » pour les réacs et les fachos. Il faut savoir ce que l'on veut, et faire montre de courage politique.Est-ce que l'homophobie n'est qu'une diversion pour éviter de parler des problèmes sociaux ?Même pas. Hollande ne s'est pas tellement exprimé, ou à peine et tardivement, sur le déferlement de haine homophobe qu'on subit tous les jours. C'est plus intelligent pour le PS de faire passer cette loi en début de mandat, c'est une mesure sociétale qui ne coûtera pas grand-chose. En revanche, des décisions antisociales sont prises pendant que la couverture média est focalisée sur le mariage pour touTEs.Quand les fachos mettent partout des pochoirs du type « du boulot à PSA et pas la PMA » ou « on veut du boulot, pas du mariage homo », que dis-tu ?Les groupes fascisants opposés au mariage se servent de la question homosexuelle pour s'opposer au gouvernement. Pour grossir leurs rangs, ils raclent sur d'autres sujets, comme le chômage, le pouvoir d'achat, tout ce qui touche la crise économique. Comme s'il n'y avait pas de « pédés » qui travaillent chez PSA ou de « gouines » encore exclues de la PMA au chômage…Face aux scores électoraux du FN l'an dernier et aux discours de Sarkozy, Act Up-Paris avait appelé à un rassemblement la veille du 1er Mai. Aujourd'hui vous prenez l'initiative de rassemblements de rue contre l'homophobie. Vous n'avez plus assez à faire dans la lutte contre le sida ?Lutter contre le sida, c'est lutter pour l'égalité des droits. L'inégalité en droits, la stigmatisation, sont des facteurs d'éloignement des structures de soins, de dépistage, de prévention, et favorisent donc la propagation de l'épidémie de sida. Tout est lié. Nous sommes très investiEs sur l'accès aux droits pour toutes les minorités concernées par la pandémie : les prisonnierEs, les « putes », les usagerEs de drogues, etc. Act Up-Paris est issue de la communauté homosexuelle : nous luttons contre l'homophobie depuis la création de l'association. Concernant les rassemblements, ils nous semblaient essentiels. Cela dit, nous aurions aimé qu'ils soient l'initiative de formations plus importantes, qui ont davantage de moyens et de relais média que nous, ou de partis politiques, mais si on avait dû compter sur eux, on attendrait encore. La preuve.Est-ce que tu crois que la mauvaise mayonnaise actuelle peut s'inverser ? Et comment ?Nous souhaitons ardemment que des rassemblements de ce type se tiennent aussi sur des questions moins directement liées aux LGBT. Le 27 janvier dernier, les sans-papiers nous ont soutenuEs, ainsi que les travailleurSEs du sexe. Ils/elles ont marché avec nous.Aujourd'hui, la plupart des formations politiques favorables au mariage pour touTEs travaillent en parallèle à des lois qui vont exposer davantage les prostituéEs aux violences et aux contaminations VIH/IST.Pour que la mayonnaise s'inverse, il faudrait un peu plus de cohérence dans les politiques publiques, et un peu plus de solidarité dans les mobilisations. J'aimerais que, aux prochaines manifestations des sans-papiers, des structures LGBT soient là : l'égalité des droits ne se divise pas.Propos recueillis par Denis Godard