Alors que nous connaissons actuellement une révolte sociale de grande ampleur, il ne faudrait pas oublier qu’il y a cinq ans la France a connu une révolte sociale importante dans les quartiers populaires. Le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, Zyed et Bouna, poursuivis par des policiers, sont morts électrocutés après s’être réfugiés dans un transformateur électrique. Deux jours plus tard, les CRS lançaient une grenade dans la mosquée de Clichy-sous-Bois pendant la prière. La révolte s’est alors propagée dans tout le pays durant trois semaines. Depuis, la situation dans les quartiers populaires s’est encore dégradée. Le plan « Dynamique espoir banlieue » lancé en grande pompe, en 2008, par Sarkozy n’est évidemment qu’un leurre. Bernard Genin, le maire de Vaux-en-Velin dit d’ailleurs de ce plan que ce n’est que « pipeau et compagnie »1. Ce qui n’est pas que « pipeau et compagnie » en revanche, c’est la politique ultra-sécuritaire dont sont victimes les habitants des quartiers populaires. Sarkozy et son gouvernement ont lancé contre eux une véritable guerre policière qui fait des morts parmi les habitants. Les nombreuses victimes de violences policières ne sont que la face visible de ce que vivent au quotidien les habitants des quartiers dans l’indifférence générale : harcèlement policier, contrôles d’identité au faciès, humiliations, tutoiements, descentes de police et interpellations musclées, tirs au flash ball et au tazer, survols en hélicoptère, déploiement de forces spéciales… Certains au sein même de la police commencent à s’inquiéter : « Cette militarisation des interventions est déplorable disait récemment Yannick Danio, délégué national de l’Unité police SGP-FO. C’est l’escalade, quand on aura fait ça, on n’aura plus qu’à envoyer l’armée.» On a trop peu insisté d’ailleurs sur le « traitement spécial » auquel avaient droit les lycéens des quartiers populaires mobilisés contre la réforme des retraites. Sarkozy cherche évidemment à faire des habitants les boucs émissaires de la crise économique en désignant ces quartiers comme des zones de non-droit, des « territoires perdus de la république » infestés de « racailles ». Effets démultipliés de la criseOr, si les habitants laissent parfois éclater leur colère face notamment aux violences policières, c’est d’abord parce que leurs quartiers sont les plus durement touchés par la crise économique. Comme le fait remarquer Mohammed Mechmache, président d’AC Le Feu, « l’insécurité sociale existe partout, mais dans ces quartiers, elle est bien plus profonde, bien plus sévère qu’ailleurs. »2La dernière étude disponible de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (751 zones regroupant près de 5 millions de personnes) publiée fin 2008, montre que la part des habitants vivant sous le seuil de pauvreté (908 euros mensuels) est trois fois plus importante qu’ailleurs (33,1 % contre 12 %). Le taux de chômage frôle les 20 % (40 % pour les jeunes) et il a augmenté de près de 60 % depuis janvier 2008 (+104 % pour les jeunes diplômés bac+3 et plus). Sans compter que ces difficultés sociales se croisent avec les discriminations racistes de toutes sortes subies par les habitants (discriminations à l’embauche, au logement, islamophobie…). On ne peut pas comprendre la révolte des quartiers en 2005, ni même les révoltes plus localisées des Minguettes en 1981, de Vaulx-en-Velin en 1990, de Mantes-la-Jolie en 1991, de Dammarie-les-Lys en 1997, de Villiers-le-Bel en novembre 2007 ou de Grenoble durant l’été 2010, sans avoir tous ces éléments à l’esprit. Certains à droite, mais aussi à gauche, cherchent à dépolitiser ces révoltes en présentant notamment les révoltés comme des « délinquants ». Sarkozy, ministre de l’Intérieur à l’époque, n’hésitait pas en 2005 à affirmer que « 75 à 80 % des émeutiers » interpellés étaient des « délinquants bien connus » et que ces « émeutes » traduisaient leur volonté de « résister à l’ambition de réinstaurer l’ordre républicain » alors qu’une étude des comparutions immédiates au tribunal de Bobigny montrait l’exact contraire3. PoudrièreCinq ans après, rien n’a vraiment changé et, avec la crise, la situation s’est même aggravée. Les quartiers sont une vraie poudrière prête à éclater à la moindre étincelle. Il ne faudrait pas, si ça arrive, que de nouveau les habitants des quartiers soient quasiment seuls face à la machine de guerre de Sarkozy. Non seulement les habitants des quartiers risqueraient alors d’être encore plus écrasés qu’avant sous la répression la plus implacable, mais Sarkozy pourrait en profiter pour affaiblir le mouvement social en utilisant les préjugés racistes pour retrouver une légitimité politique. Pour éviter cela, le mouvement social doit renouer les liens avec les militantEs et les habitantEs des quartiers, en faisant l’effort d’intégrer pleinement leurs mobilisations et revendications spécifiques notamment contre les violences policières et les discriminations. Laurent Sorel1. l’Humanité, 27 octobre 20102. ibid.3. Tout est à nous ! la Revue n°9, avril 2010