Publié le Vendredi 2 mars 2012 à 23h36.

Punir les employeurs assassins : l’exemple italien

Loin du bruit et de la fureur des meetings électoraux, avec des médias plus que discrets, une passionnante rencontre avec le procureur de la République de Turin, Raffaele Guariniello, à l’invitation du Syndicat de la magistrature, de l’association Interforum et de l’organisation Giuristi Democratici, a eu lieu samedi 25 février. Pour un débat public portant sur les méfaits du travail, on pouvait remarquer la faiblesse de la représentation des organisations syndicales. Leur discrétion peut s’expliquer par la peur de se faire reprocher leur participation au Comité permanent amiante qui pendant des décennies a justifié et organisé une utilisation « raisonnable » de l’amiante. Mais étaient présentEs des inspecteurs et inspectrices du travail, l’Andeva, de nombreux acteurs judiciaires de plusieurs pays ainsi que la Fondation Henri-Pézerat.

Le procureur de Turin a été à l’initiative des procédures qui ont conduit à la condamnation des responsables de Thyssen-Krupp à seize ans et demi d’emprisonnement pour homicide volontaire à la suite d’un accident du travail ayant entraîné le décès par brûlures de sept ouvriers et à celles de deux principaux dirigeants d’Eternit à seize ans de prison et à des centaines de millions d’euros d’amendes coupables d’empoisonnement environnemental ayant entraîné la mort et la maladie grave de milliers de travailleurs et de leurs proches.Après une introduction par Jean-Paul Teissonnière, avocat spécialiste des questions de santé et sécurité au travail, le procureur de Turin a présenté les spécificités des procédures engagées et des moyens utilisés.Outre son acharnement, le parquet de Turin bénéficie tout d’abord d’une indépendance par rapport au pouvoir politique qui fait rêver les magistrats français. Ensuite, le parquet turinois s’est doté d’un observatoire des cancers professionnels qui part systématiquement « à la recherche des cancers perdus ». Le remarquable résultat consiste en des condamnations au pénal de dirigeants responsables de la stratégie industrielle des groupes Thyssen et Eternit. Ces derniers pour crimes environnementaux couvrant non seulement les victimes ayant travaillé dans les usines Eternit mais aussi les victimes dans la population environnante. Les débats ont porté sur des comparaisons entre les situations et possibilités des différents pays (Italie, France, Belgique) et l’opportunité controversée de la mise en place d’un tribunal européen sur ces questions. Pour ne prendre que la situation française, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, à partir de l’obligation de sécurité de résultat, a construit un droit théoriquement fort de la prévention des risques professionnels. Mais la faiblesse des moyens mis à disposition de la justice et des inspections du travail entrave des avancées significatives réelles. Et surtout, la dépendance du parquet par rapport au pouvoir politique interdit pratiquement toute initiative voire les contrecarre en dessaisissant les magistrats de gros dossiers gênants.

Pour conclure, le procureur de Turin a défendu l’idée qu’il fallait s’emparer de façon volontariste des outils judiciaires en l’état dans chaque pays même si face à des groupes internationaux il fallait dépasser la situation où « le crime sanitaire ou social voyage à la vitesse de la lumière, pendant que la justice se déplace à la vitesse d’une diligence ». 

Robert Pelletier