Le régime sarkozyste poursuit la stigmatisation du mouvement social, en jetant toute opposition dans l'illégalité. A ses ordres, les traditionnelles prérogatives de la fonction régalienne: police et justice.
La judiciarisation des conflits sociaux conditionne le citoyen en instrumentalisant la peur. Le rapprochement médiatique entre les militants d'extrême gauche de Tarnac et le terrorisme, ou encore la mise à l'index d'un syndicat de la gare St Lazare lors d'un récent conflit en sont deux exemples frappants.
La violence sécuritaire institutionnelle réprime toute pensée contestataire. Utiliser préventivement les ressorts de l'insécurité et du racisme prépare une opinion publique molle à accepter de nouvelles normes sociales dans lesquelles il faut montrer l'opposant du doigt et le réduire au silence. Ce moralisme antiviolence rend tout contestataire coupable de refus d'obéissance à l'ordre politique du marché.
C'est cette pression qu'ont vécue les participants au camp No Border de Calais au mois de juin. A l'annonce très anticipée du démantèlement de la « Jungle », ces militants de la libre circulation et de la fin des contrôles migratoires organisent un campement de solidarité avec les migrants. Dès leur arrivée à la gare, ils subissent 17 interpellations et 9 gardes à vue, au motif d'appartenance à des groupes libertaires réputés violents. Toute la semaine, Calais est en véritable état de siège : contrôles policiers répétés, quadrillage du secteur, harcèlement, fouilles au corps, entrave à une manifestation pacifique autorisée. Les policiers sont plus nombreux que les militants. Dans tous les orifices de la ville, dans les cours d'immeubles, sur les quais, aux entrées des rues, à cheval dans un champ de colza, ce ne sont que bottes, casques, boucliers, survol par un hélicoptère... De nouveaux outils de répression sont expérimentés, comme le nettoyage à distance de la mémoire des portables éteints.
Le 14 juillet survient un incident entre militants d'extrême gauche et la maire UMP de Calais, en opération de communication. La voyant distribuer des colliers lumineux aux enfants de la ville, des camarades No Border et NPA l'interpellent et lui demandent de fournir des tickets de douche aux migrants. S'ensuit altercation, dépôt de plainte, procès pour outrage et rébellion. Deux militants doivent passer en jugement : Cédric le 14 octobre et Grégory le 18 novembre. Ils s'ajoutent à la longue liste de militants poursuivis avec acharnement.
Au mois d'août, Gérard Jodar, président de l'USTKE, condamné à un an de prison ferme dans le cadre d'un conflit salarial, a été privé de parloir pour avoir donné une interview à Libération, dans laquelle il évoque la colonisation et le bagne. Ce n'est pas sans rappeler les menaces et accusations de racisme à l'encontre d'Elie Domota, leader du LKP, qui a mené le mouvement de grève en Guadeloupe.
Plus récemment, la condamnation de Xavier Mathieu et six autres syndicalistes de Continental après la dégradation d'une sous-préfecture est un exemple de plus de cette volonté de faire taire la classe ouvrière en lutte pour la sauvegarde de son outil de travail. Accuser les «désobéissants» en colère de troubler l'ordre public relève de l'objectif prioritaire de l'État de contrôler et d'assurer la continuité du modèle économique libéral.
L'apathie de la société civile et la complaisance de nombreux médias cautionnent, par leur silence, le choix politique de faire intervenir les unités anticriminalité contre le mouvement social. Car, comme le dit Machiavel lui-même : «La meilleure forteresse des tyrans, c'est l'inertie des peuples».
Gisèle Felhendler