Publié le Lundi 28 mars 2011 à 10h10.

Sur la frontière

Samy, 15 ans et demi, est mort poignardé. « Rixes entre bandes » à Asinères et Gennevilliers, comme l’a dit la presse ? On n’est pas dans une série télé américaine, où des groupes organisés se battent pour le contrôle d’un territoire et des trafics. Juste dans le monde capitaliste où des mômes qui se voient sans avenir, donc sans présent, s’inventent une identité autour de l’appartenance à un quartier, à une ville. Toutes les frontières sont absurdes, mais celle-là l’est particulièrement. Des jeunes des deux quartiers se retrouvent dans les écoles des deux villes. Leurs parents vivent les mêmes difficultés de chômage, de discriminations (dont celle liée au seul fait d’avoir son adresse dans un quartier difficile). Et c’est dans les deux villes que vient d’arriver la police « de proximité », la tension provoquée par cette présence policière est une des composantes de la situation.

Le tableau est ici le même que dans tous les quartiers populaires : discriminations racistes, chômage ; un jeune sur quatre sans emploi (un sur huit dans tout le pays) ; fermeture des usines, qui étaient nombreuses à Gennevilliers et employaient beaucoup de ses habitants… No future. Il faut aussi parler de la casse de l’accueil de la petite enfance et de l’éducation nationale : l'inspection académique laisse chaque année des centaines de jeunes, pour la plupart sortant de 3e ou n'ayant pas obtenu leur bac, sans affectation. Et les lycées des deux villes courent après l’image d’excellence et développent des filières fermées à la plupart des jeunes de ces quartiers.

À Gennevilliers, on rejette depuis des années nos demandes de réouverture de la maison des jeunes et de lieux spécifiques dans les quartiers, où les jeunes seraient partie prenante de la gestion. La ville, dirigée par le PCF, a les moyens financiers de le faire, mais ne fait pas ce choix : « trop de risques à laisser des jeunes entre eux », on leur propose d’être « consommateurs » mais pas acteurs. Ça fait un bail que ça ne marche pas, et au final, pour « protéger les jeunes », les deux maires ont décidé un couvre-feu pour les mineurs à partir de 20 heures. C’est en fait dans la continuité de plusieurs actions pour demander plus de policiers, et le tout donne un mauvais exemple aux villes de droite. Exemple au premier jour du couvre-feu : un jeune de 20 ans se fait contrôler, présente sa carte d’identité, est emmené au poste, en sort et… re-contrôle, re-poste !Les habitants sont mobilisés : 2 000 à un rassemblement, 100 dans deux réunions de quartier. Des voix prétendent que les familles doivent mieux contrôler leurs enfants et qu’il faut police municipale et caméras – ce qui existe déjà à Asnières… Beaucoup voient bien qu’il faut aller vers les jeunes, leur donner la parole (ils étaient bien sûr très peu dans ces réunions). Au contraire, le couvre-feu c’est encore plus de policiers et un hélicoptère qui tourne au-dessus du quartier, pas de quoi calmer la rue. Ce dont nous avons besoin, c’est de nos luttes contre le chômage, contre les suppressions de postes d’enseignants, contre la casse des services publics, de moyens pour les associations, pour la prévention et pas pour la répression. Isabelle Guichard