Mise au point sur quelques termes et concepts fondamentaux.
Les étrangers~ Un étranger est une personne qui réside dans un pays mais n’en possède pas la nationalité. La qualité d’étranger ne perdure pas forcément car on peut obtenir la nationalité d’un pays. Au-delà de l’approche juridique, l’acception commune du terme et son ambivalence entretenue reviennent de façon révélatrice à assimiler l’étrangeté au danger, à présenter l’étranger lui-même comme menaçant et envahissant, et débouchent sur des pratiques excluantes, répressives et anxiogènes.
Les immigrés~ Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant dans un autre pays que le sien. La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il obtient la nationalité française. L’usage du terme permet ainsi de stigmatiser une part importante de la population, non seulement ces étrangers devenus français, mais également leurs enfants.
La manipulation fondamentale consiste à opérer un glissement où les immigrés passent toujours pour des étrangers, donc envahissants et dangereux à perpétuité. Ils font ainsi fonction d’ennemi intérieur, une fonction indispensable à la classe dominante.
Assimilation et intégration~ Cette manipulation repose particulièrement en France sur le recours à une double notion perverse : l’intégration, ou dans sa forme brutale, l’assimilation. Dans les deux cas, il s’agit de se soumettre aux normes édictées par les dominants du pays d’accueil. Dans le cas de l’intégration, il s’agirait seulement de « jouer le jeu » en étant sage et discret, idéalement invisible. Dans le second, on demandera des preuves de la liquidation consciente et volontaire de toute distinction. L’une et l’autre sont reliées par l’injonction insoutenable et sans cesse plus exigeante qu’elles représentent et contribuent donc à maintenir les populations concernées dans leur position d’étrangeté, d’infériorité et in fine d’oppression subie.
Les migrants ~ Le terme est a priori plutôt neutre et technique. Il n’en tend pas moins à gommer la diversité des origines, causes et modalités d’émigration, statuts juridiques et sociaux, destinations... et conduit ainsi à une unification factice, voire à une confusion entre des populations ainsi dépouillées de leur existence propre en tant qu’individus autonomes et agissants.
Les demandeurs d’asile~ Un demandeur d’asile est une personne qui a fui son pays où elle était persécutée ou menacée. Elle butte sur trois obstacles : l’impossibilité fréquente (règles européennes aidant) de déposer sa demande, le non respect de leurs droits de demandeurs (notamment en matière de logement) et un traitement policier qui, pour un peu, les identifierait à des sans-papiers !
Les réfugiés~ Si le demandeur d’asile obtient gain de cause, il devient un réfugié. En dépit de la référence théorique à la seule convention de Genève, les politiques des États en matière de reconnaissance de ce statut sont pour le moins diverses. Elles reflètent le degré de xénophobie, voire de racisme de ces États, ainsi que le cynisme dont procèdent des considérations, souvent économiques mais aussi de politiques internationales, qui n’ont rien à voir avec l’examen objectif du dossier.
Les déplacés ~ Il s’agit d’une catégorie qui inclut les « déplacés internes » qui ont été contraints de quitter leur lieu de vie mais n’ont pas franchi de frontière et demeurent donc en théorie sous la seule « protection » (mais on devrait plutôt dire sous la coupe) de leur propre gouvernement. Du fait de la multiplication et de l’aggravation des causes de déplacement (conflits, désastre climatique...), leur augmentation est exponentielle, et l’UNHCR (l’agence des Nations unies pour les réfugiés) est conduite à leur apporter une aide, même si cela ne relève pas strictement de son mandat.
Les déportés~ Un déporté est une personne dont le déplacement a été contraint et organisé par une institution étatique, généralement dans le cadre d’une opération de masse.
Les sans-papiers ~Un sans-papiers est une personne vivant et travaillant dans un pays mais sans statut légal. Sa situation découle d’un jeu bureaucratique opaque et de la manipulation de prétendus critères au service d’une politique d’ensemble. Il est le travailleur idéal pour les patrons et l’une des pièces majeures du dispositif libéral de division socio-ethnique du travail. Il est en pratique surexploité, empêché d’accéder aux droits les plus élémentaires, et racketté par l’État puisqu’il ne saurait avoir un retour sur ses impôts et ses cotisations.
L’immigration choisie ~ La rhétorique sarkozienne a « popularisé » ce terme en France... comme si le choix par les États des « bons » et « mauvais » migrants au « bon » et « mauvais » moment était une innovation ! La réalité, c’est qu’avec la mise en avant de cette notion cyniquement euphémique, la voie était ouverte à une politique de droite extrême balançant constamment entre la tentation du proto apartheid de la « préférence nationale » façon FN et le pragmatisme libéral-raciste pratiqué d’ordinaire, avec une bonne ou mauvaise conscience à géométrie variable, par l’ensemble des partis de gouvernement. Ce sont peu ou prou les mêmes « choix » qui sont faits par la même classe sociale dans l’ensemble d’une Union européenne qui ne cesse de dériver à droite.
Migrants « politiques » et migrants « économiques » ~ L’une des ruses favorites des États, soucieux de garder la main et de « choisir » à leur gré leurs immigrés, est quelquefois d’opposer le gentil et pauvre migrant « politique » (un tout petit peu légitime donc) au redoutable migrant « économique », au mieux le représentant de toute cette « misère du monde » qu’on ne peut pas accueillir, au pire un clandestin venu voler le travail des autochtones. Mais au contraire, quelquefois, il s’agit aussi d’utiliser le migrant « économique » dûment choisi contre la masse terrifique des damnés de la terre prête à déferler. Ce faisant, on fait semblant d’ignorer que, dans tous les cas, le réfugié politique devra chercher du travail ou que les migrants « économiques » viennent souvent de pays en proie à la guerre, au chaos ou soumis à des régimes sanguinaires, ou encore qu’à l’instar des Roms, ils ont été réduits à la misère par l’apartheid. En tout état de cause, l’enjeu est toujours de bien enfoncer dans la tête des autochtones (y compris quelquefois de migrants déjà installés) les notions de seuil de tolérance, surnombre, et autres billevesées...
Pourquoi toutes ces catégories ? Elles ne sont que la traduction d’une gestion étatique discriminatoire des individus, notamment à l’encontre des migrants. Elles ne sont pas seulement un rouage de la machine à fabriquer des sans-papiers, mais en créant de toutes pièces des hiérarchies et des conflits d’intérêts, elles assoient les rapports sociaux de domination tant de classe que de race (comme dans d’autres domaines, elles assoient les rapports sociaux de genre). C’est la négation même de la citoyenneté de résidence, seule à même d’assurer l’égalité des droits et que ne pourrait garantir à terme que la reconnaissance des principes de liberté de circulation et d’implantation.
Sylvain Madison