Le racisme est un tabou dans la société française, surtout lorsque est posée la question de sa dimension systémique. On veut bien parler de racisme institutionnel aux États-Unis, mais pas en France. La police raciste ? Non, ce sont seulement des bavures ! La société française raciste ? Non, impossible dans le pays des droits de l’homme, de l’égalité et de la fraternité républicaines ! Ici, ce ne serait qu’une affaire de comportements individuels.
Pourtant c’est la police « républicaine » qui, en octobre 1961 massacre des centaines d’Algériens à Paris. Près de 60 ans plus tard, ce sont 2 495 personnes qui ont été blessées par cette police « républicaine » au cours du mouvement des Gilets jaunes, selon les propres chiffres du ministère de l’Intérieur d’octobre 2019. C’est la police « républicaine » qui a tué Adama Traoré, et tant d’autres.
Racisme quotidien
Ce déni du racisme peut amener celles et ceux qui ne le subissent pas à nier aussi les discriminations, notamment dans leur dimension institutionnelle. Mais les migrantEs, les jeunes et les moins jeunes des quartiers populaires, y compris celles et ceux ayant une parenté arabe, noire et qui sont français, subissent le racisme au quotidien. Pour elles et eux, c’est la répétition, tous les jours, dans toutes les sphères de la vie sociale, de rebuffades, de plaisanteries, de moqueries, de réflexions, de vexations, de contrôles au faciès, de refus de logement, d’emploi, de stage, etc., et de violences policières allant au meurtre. Allez dire aux victimes de ce racisme banal que la société française n’est pas raciste, à elles et eux qui le subissent chaque jour !
Les décideurs politiques cherchent à innocenter, camoufler les agissements des forces de police qui sont à leurs ordres. L’attitude de l’IGPN, qui couvre systématiquement les crimes policiers racistes, est à ce titre caractéristique, puisque c’est bien l’institution elle-même qui protège les meurtriers. Mais dans les quartiers populaires, on a peur que son enfant ou son frère ne rentre pas le soir parce qu’il aurait croisé au mauvais moment la police. Leurs habitantEs voient que les forces « de l’ordre » visent explicitement certainEs d’entre elles et eux. Ils et elles voient que les policiers sont rarement condamnés.
Invisibilisation des responsabilités de l’État
L’entreprise idéologique consiste, de plus, à retourner la situation, et à faire des victimes des coupables, des fauteurs de trouble, des délinquants, de créer la peur dans la population afin de la pousser à faire corps avec la police qui serait là pour la protéger. On associe les immigréEs, les étrangers à des gangs, des mafieux, des clans qui s’entretuent, trafiquants de drogues, prostitution, terrorisme, communautarisme, séparatisme, etc. L’objectif de la manœuvre est d’attiser la haine xénophobe, islamophobe, négrophobe, antisémite, afin de détourner la colère d’une partie de la population contre une autre, en faire des boucs émissaires responsables des maux de la société. Et en même temps on cache les causes réelles des violences policières et du racisme de la police.
Il s’agit également d’invisibiliser la responsabilité de l’État, présenté comme étant au-dessus de la mêlée, afin de dissocier les pratiques policières des choix politiques en matière de politique sécuritaire. Durant les manifestations antiracistes de ces dernières semaines, on a assisté à ce double discours des gouvernants affirmant comprendre l’émotion des manifestantEs tout en défendant leur police, prônant la fermeté « antiraciste » dans l’institution policière, affirmant que celle-ci devait être irréprochable en la matière. Cela n’engage pas à grand-chose, permet de faire croire au bon peuple que l’État n’est pas responsable alors qu’il est le donneur d’ordre.
Les policiers qui ont manifesté pour exiger le maintien de la clef d’étranglement (c’est-à-dire objectivement du droit de tuer) ne s’y trompent pas. Il ont fait pression sur l’acteur décisionnel : l’État. Et cela a, comme toujours, marché, puisque Castaner a reculé. S’il existe bien des responsabilités policières, elles ne sont possibles à une telle fréquence et dans une telle durée que parce que l’État les autorise.
Racisme orchestré d’en haut
L’État français, sa police et son armée, ont une longue pratique du racisme lié au système colonial qui a régné pendant plus de deux siècles, reposant sur l’exploitation, l’oppression des peuples autochtones considérés et montrés comme inférieurs. Ce type de système colonial n’existe plus certes, mais il y a toujours des intérêts économiques, financiers, politico-militaires à défendre dans différentes régions du monde où l’armée française est toujours présente.
Le racisme, comme le sexisme, est pour le système capitaliste un moyen de diviser les pauvres, de les monter les unEs contre les autres, de légitimer la surexploitation de certainEs. Certes, en France, les discriminations ne se manifestent pas par un apartheid comme celui qui a régné en Afrique du Sud, ni comme dans les systèmes totalitaires ou comme dans la société esclavagiste nord-américaine, mais il est bien orchestré d’en haut des sphères étatiques par les lois, les institutions, les médias. Les préjugés racistes ressassés par l’extrême droite sont repris par des ministres, de prétendus intellectuels, des journalistes. Le gouvernement Macron, comme les précédents, distille le soupçon systématique à l’égard des étrangerEs, organise la chasse aux migrantEs, refuse de régulariser les sans-papiers. Pour le gouvernement le ou la migrantE est la cible idéale, présentée comme responsable du chômage. Plus insidieux est le racisme culturel : les étrangerEs seraient porteurs d’une culture qui représenterait un danger pour la soi-disant identité française. On se rappelle les propos de Manuel Valls disant que « les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». L’islam est agité comme un épouvantail qui menace les valeurs de la société républicaine, propagande amalgamant maghrébinE, musulmanE, islamiste, terroriste.
Non seulement le racisme existe bien en France mais on peut parler d’un racisme d’État, ou institutionnel ou systémique, peu importe le nom qu’on lui donne, c’est-à-dire d’un racisme lié intimement à la structuration et au fonctionnement inégalitaires de la société.