Publié le Lundi 13 avril 2015 à 16h50.

L’agriculture au cœur du réchauffement climatique

L’agriculture est à la fois victime et responsable du changement climatique. Mais les principales victimes ne sont pas les coupables et inversement...
Du côté des victimes, parler d’agriculture, c’est parler du travail et des moyens de subsistance des paysans et paysannes ; c’est parler de sécurité et de souveraineté alimentaire pour l’immense majorité de la population.
Du côté des coupables, c’est parler agro-industrie, firmes semencières, industrie chimique ; c’est parler profit, concurrence et spéculation (dernière en date, le beurre), TAFTA et grands projets inutiles ; c’est aussi parler des politiques des gouvernements obsédés par la libéralisation et la levée de toute limite aux droits de polluer (comme le récent recul sur la directive nitrates), d’épuiser la terre et de breveter le vivant, de supprimer toute régulation, avec par exemple les quotas laitiers, et laisser une totale liberté au marché...
Par sa capacité de stockage du carbone, la capacité de l’agriculture de lutter contre le réchauffement climatique n’a pas échappé aux capitalistes qui voudraient bien pouvoir mettre un prix à ces puits de carbone, pour pouvoir en profiter comme ils l’ont fait avec le marché du carbone... Il faut les combattre, eux et leur « agriculture intelligente face au climat ». Leur but est de sauvegarder une industrie mortifère tout en s’accaparant des fonds destinés à lutter contre le réchauffement climatique. Quitte à éliminer au passage les paysans !
Dossier réalisé par la Commission nationale écologie du NPA

 

Menaces sur la sécurité alimentaire

D’après l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), plus de 800 millions de personnes souffraient encore de la faim entre 2012 et 2014 (65 % sur le continent asiatique, 28 % sur le continent africain).

Ces mêmes populations, soumises aux conséquences dramatiques du réchauffement climatique, voient leur insécurité alimentaire s’aggraver : disponibilité de l’alimentation, accès à cette dernière, son utilisation et enfin sa stabilité.
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (sommet mondial de l’alimentation en 1996).
Les conséquences du réchauffement climatique (températures, instabilité pluviométrique, fréquence et gravité des événements extrêmes, hausse du niveau des océans, fonte des glaciers, etc.) menacent directement la disponibilité alimentaire :
– dégradation des sols : sécheresses, inondations, salinisation, contamination et épuisement ;
– baisse de production et de rendement : dans les trois dernières décennies, les productions de blé et de maïs auraient été inférieures respectivement de 3,8 % et 5,5 % à ce qu’elles auraient dû être sans le réchauffement climatique ;
– déplacement du poisson, ressource vitale pour environ 3 milliards de personnes, vers les pôles en raison du réchauffement des océans.
La production et la distribution (stockage et acheminement) perturbées par les sécheresses, inondations, destruction des infrastructures provoquent pénuries, déplacements de populations et envolées des prix alimentaires.

Vers de graves crises alimentaires ?
Un deuxième facteur d’insécurité est la possibilité d’accès à l’alimentation, qui s’aggravera dans les années à venir avec la crise climatique. D’après Oxfam, la demande alimentaire risque d’augmenter de 70 % d’ici à 2050, et les prix alimentaires pourraient plus que doubler d’ici à 2030 : des denrées alimentaires de base comme le riz, le blé ou le maïs pourraient ainsi voir leur prix augmenter respectivement de 107 %, 120 % et 177 %. Cette hausse des prix alimentaires touche plus sévèrement les ménages les plus pauvres des pays du sud, qui peuvent consacrer jusqu’à 75 % de leur budget à l’alimentation, alors que les ménages des pays développés n’y consacrent en moyenne que 10 à 20 % de leurs revenus...
La spéculation sur les matières premières agricoles, l’accaparement des terres, la promotion des agrocarburants conjugués aux manques d’investissement structurels dans les agricultures paysannes ne feront que pousser des centaines de millions de personnes dans la pauvreté absolue, en particulier les femmes et les habitants des villes surpeuplées.
Ajoutée à l’extension de certaines maladies et à l’insuffisance d’accès à l’eau potable, l’insécurité, c’est aussi la pollution des ressources hydriques qui réside aussi dans l’utilisation de la nourriture : menaces sur la qualité, la valeur nutritionnelle, les contaminations par des mycotoxines, attaques d’insectes ravageurs...
Sans une garantie de stabilité qui ne peut être assurée que par la souveraineté alimentaire, de graves crises alimentaires sont à prévoir, avec bien entendu leurs lots de réfugiéEs climatiques et de conflits armés.

 


Les océans menacés !

Le CO2 ne menace pas seulement le climat, il dégrade aussi les océans menacés par les activités humaines qui s’ajoutent au dérèglement climatique : surexploitation, pollutions de toutes sortes (chimique, plastiques…), extraction de sable, forages pétroliers, pêche profonde, destruction des mangroves (écosystème de marais maritime) pour installer des élevages de crevettes, etc.

Une des nombreuses conséquences de l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) est l’acidification des océans. Les deux coupables sont le dioxyde de carbone et l’azote d’origine humaine (engrais azotés, moteurs). L’acidité des océans a déjà augmenté de 30 % depuis le début de la révolution industrielle. Et les experts prévoient son doublement d’ici la fin du siècle !
Ajoutée à l’augmentation des températures des océans (plus lente que dans l’atmosphère du fait de l’inertie des océans) mais tout aussi réelle, les conséquences sont catastrophiques pour la vie marine et par conséquent pour la pêche.

Une ressource essentielle en danger
Les coraux sont une espèce fondatrice primordiale pour de nombreuses espèces. Leur disparition entraînerait une cascade d’extinctions par perte d’habitat ou de zone de reproduction. Les coquilles des huîtres ou des moules les rendent vulnérables à l’acidification. Outre leur intérêt alimentaire ces espèces jouent aussi un rôle filtreur essentiel, c’est donc la qualité de l’eau qui est menacée.
Le zooplancton est lui menacé par l’acidification, sur les petits crustacés par exemple, mais aussi par le réchauffement. Les zooplanctons d’eau froide sont remplacés par ceux d’eau chaude, dont la masse est beaucoup moins importante. Les zooplanctons sont en bas de la chaîne alimentaire marine, juste au-dessus des phytoplanctons dont ils se nourrissent. Leur réduction a plusieurs conséquences : la prolifération des phytoplanctons non mangés peut conduire à leur mort par manque d’oxygène, et le rejet de méthane, un GES. Évidemment, tous les êtres marins qui se nourrissent de zooplanctons sont affectés, jusqu’aux grands prédateurs marins.
C’est donc la ressource halieutique qui est aujourd’hui menacée : une ressource essentielle à la vie de nombreuses populations des régions côtières, ainsi qu’aux 25 millions de pêcheurs et aux 100 millions de familles liées à la pêche artisanale.


L’agriculture industrielle, principale responsable

L’agriculture industrielle et l’élevage concentrationnaire sont responsables de quasiment la moitié des gaz à effet de serre (GES). Ces deux pans de l’agro-industrie ne peuvent pas être dissociés car la plus grande partie des grandes cultures est destinée à l’alimentation animale.

L’agriculture industrielle repose sur l’utilisation d’intrants issus de la chimie, dont la fabrication nécessite de grandes quantités d’énergie. L’azote est le premier composant de l’atmosphère terrestre (4/5). Les plantes n’y ont pas accès directement à part les légumineuses qui utilisent des bactéries, les rhizobiums, avec qui elles vivent en symbiose. Quand ces plantes meurent, l’azote qu’elles ont stocké est mis à la disposition des autres plantes. Pour le phosphore, ce sont des symbioses mycorhiziques qui permettent aux plantes d’y accéder. Les engrais chimiques fournissent aux plantes ce qu’elles savent pourtant se procurer naturellement. Cela pour le plus grand profit des pétroliers et des chimistes…
L’utilisation d’engrais azotés et leur dénitrification dans les champs donne lieu à des émanations de protoxyde d’azote N2O, un gaz à effet de serre 290 fois plus puissant que le dioxyde de carbone... et le premier contributeur agricole aux GES en France.
Les cultures industrielles accaparent toujours plus de terres arables. Dans les pays du sud, elles sont la cause principale de déforestation, que ce soit pour les palmiers à huile comme en Malaisie ou en Indonésie, ou pour la culture de soja au Brésil. Ces cultures sont destinées à l’alimentation animale, aux agro-carburants et à l’industrie agro-alimentaire.
La spécialisation des cultures en grandes zones géographiques est source de transports à l’échelle mondiale (soja en Amérique du Sud, maïs aux États-Unis, etc.). Mais l’industrialisation touche aussi les fruits et légumes qui, pour être disponibles toute l’année, sont produits soit dans l’autre hémisphère, soit sous serres chauffées. Le marketing et l’effet de mode jouent aussi un rôle non négligeable sur l’approvisionnement en produits exotiques censés être indispensables à notre santé !

Industriel, de mauvaise qualité, nuisible...
L’élevage industriel est intimement lié à ce type d’agriculture. Pour maximiser les profits, la croissance des animaux doit être accélérée au maximum : ainsi, un poulet bio à l’« ancienne » est abattu à 120 jours, un poulet fermier à 80 et un poulet industriel à 37 ! Un porc noir gascon élevé en plein air vivra au moins deux fois plus longtemps qu’un porc rose en stabulation.
Pour arriver à cet exploit, les élevages industriels gavent leurs animaux aux antibiotiques et leur donnent une alimentation extrêmement riche. Interdits de pâturage, les ruminants sont ainsi transformés en granivores : au menu, maïs et soja OGM, y compris en France, où la culture et la vente pour la consommation humaine de soja OGM sont interdites... mais où son usage pour l’alimentation des animaux que nous consommons est autorisé (à l’exception de la viande bio). L’enfermement des animaux est aussi source de dépense énergétique : chauffage, ventilation, éclairage.
L’agro-industrie pousse à la consommation de viande de mauvaise qualité à des niveaux nuisibles pour notre santé. Il est clair qu’un régime moins carné permettrait de réduire nos émissions de carbone. Mais contrairement à ce qui est souvent dit, le problème ne vient pas des pets ou des rots du bétail mais bien du type d’élevage. Des vaches qui paissent sur une prairie naturelle ne rejettent que le carbone constitutif du fourrage et que les plantes ont pris dans l’air grâce à la photosynthèse, le bilan est donc neutre. Ce sont bien les cultures fourragères industrielles qui sont émettrices de GES.


L’agroécologie : lutter contre le réchauffement

On connaît la capacité du capitalisme à s’emparer des concepts qui lui sont pourtant les plus étrangers. C’est le cas de l’« agroécologie » : les militantEs de Via Campesina n’en ont pas du tout la même définition que Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, qui utilise le terme à toutes les sauces, chimiques et industrielles...

Le Forum international sur l’agroécologie, qui a eu lieu en février dernier au Mali, a réuni des centaines de paysanEs du monde entier. Ces femmes et ces hommes produisent 70 % des aliments consommés sur Terre car, contrairement aux mensonges de l’agro-industrie, ce sont bien les petits paysans qui nourrissent le plus de monde à l’échelle de la planète.
Leur agroécologie n’est pas un ensemble de techniques ou de technologies, mais vise à atteindre la souveraineté alimentaire tout en préservant l’homme et son environnement, la nature. Cette agroécologie est incompatible avec l’agro-industrie. En effet les paysans doivent pouvoir utiliser et partager leurs semences, utiliser des races d’animaux locales et adaptées, et leur accès à la terre doit être garanti. C’est une agriculture locale dont les buts ne sont ni les exportations ni la spéculation.
La préservation de l’environnement implique de ne pas utiliser d’intrants chimiques et de préserver la biodiversité, meilleur rempart contre les maladies et les ravageurs. Mais le concept va beaucoup plus loin que celui d’agriculture bio. Des hectares de serres de légumes bio ne peuvent en aucun cas être définis comme étant agroécologiques, pas plus que des productions ou des élevages qui reposent sur le travail d’ouvriers agricoles dont le statut est proche de l’esclavage.

Rendre sa vie aux sols
Il n’y a pas une agroécologie qui viendrait d’en haut, mais des agroécologies qui varient en fonction des territoires, des cultures, des modes de vie. Cela n’exclut absolument pas la recherche, mais une recherche initiée par les paysans et à laquelle ils participent pleinement.
Le passage de l’agro-industrie vers l’agroécologie aurait des implications immédiates sur l’environnement, puisque toutes les pollutions cesseraient immédiatement. L’agriculture cesserait entre autres de contribuer aux GES, ce qui serait déjà énorme...
Mais en plus l’agroécologie a pour but de créer des systèmes agricoles réellement durables. Depuis l’avènement des tracteurs et des intrants chimiques, l’état des terres arables s’est considérablement dégradé, au point que certaines terres sont considérées comme quasi mortes. Elles ne sont plus qu’un substrat minéral et seul un apport massif d’intrants permet aujourd’hui qu’elles soient cultivées.
L’agroécologie vise à rendre sa vie au sol et donc à faire remonter le taux d’humus (qui a baissé d’environ 75 % en 50 ans). Or l’humus, c’est la vie, et donc du carbone. Les sols renferment deux fois plus de carbone que l’atmosphère. Ils pourraient facilement stocker le carbone émis annuellement mais aussi absorber une partie du carbone déjà émis. Pour cela, les techniques sont connues : limitation du travail du sol, couverts végétaux, intercultures, mais aussi réintroduction des arbres au sein des cultures (agroforesterie).


Les transports : c’est comment qu’on freine ?

Pour rester dans la course au profit, la stratégie du capitalisme du 21e siècle implique des véhicules constamment en mouvement, dont les cargaisons peuvent être achetées et vendues plusieurs fois au cours d’un trajet...

C’est le règne du tout-camion avec les méthodes « modernes » de gestion « zéro stock », « flux tendu » ou « juste à temps », qui conduisent à multiplier les transports afin de suivre au plus près l’utilisation des marchandises.
Les économies de gestion des stocks découlent ainsi de la circulation d’un flux ininterrompu de véritables « stocks roulants ». Or, avec la même consommation d’énergie, la tonne de fret parcourt 5 fois plus de distance par cabotage maritime, 4 fois plus par train entier, 2 fois plus par voie fluviale, que par camions. Mais ces types de transports sont torpillés par les capitalistes qui préfèrent les « travailleurs esclaves », les « forçats de la route », les routiers.

Relocaliser la production agricole
Le commerce des denrées alimentaires n’échappe pas à la règle. Il est le résultat d’une division du travail qui s’opère à l’échelle du monde. Produire du mouton en Nouvelle-Zélande, du bœuf en Argentine, des porcs en Bretagne, des tomates en Espagne, stimule l’hyper développement des transports, en particulier par camions, qui contribue grandement aux émissions de gaz à effet de serre : le transport représente 27,8 % des émissions nationales, le transport routier est responsable de 92 %...
C’est pour cela que la localisation des productions est primordiale. Cela éviterait que différents ingrédients parcourent 3 500 km avant d’être réunis dans un pot de yaourt aux fraises ! Ou que des crevettes danoises, acheminées jusqu’au Maroc pour y être décortiquées, repartent ensuite au Danemark vers leurs lieux de commercialisation !
L’aberrante inventivité destructrice des capitalistes n’a pas de limites. Il faut développer l’agriculture vivrière. Celle-ci doit permettre aux populations de se nourrir par elles-mêmes avec les productions locales, de saison. C’est la condition pour sauver le climat... et nous sauver avec !

 

La place des femmes dans l’agriculture des suds

Au croisement de l’écologie et du féminisme... L’écosocialisme associant aux préoccupations environnementales les préoccupations sociales, nous ne pouvons faire abstraction de l’importante majorité de femmes qui travaillent la terre dans les suds.

Il est donc primordial de considérer l’impact du patriarcat quand nous nous intéressons à l’agriculture paysanne et traditionnelle. Dans ce cadre, l’écoféminisme a apporté de nombreuses clés de lectures, en tombant malheureusement parfois dans le travers de l’essentialisme, considérant que les femmes avaient un lien naturellement privilégié à la terre, pouvant ainsi mieux la « comprendre », voire être plus productives que les hommes...
Or, si ce lien est privilégié, c’est bien parce qu’elles sont plus nombreuses à être en contact avec la terre, ont généralement moins accès aux machines, et travaillent encore largement de manière traditionnelle. Comme le dit Bina Agarwal, une femme citadine n’a pas une meilleure connaissance de l’environnement qu’un homme paysan. Cependant, de fait, elles sont plus à même de savoir que le charbon de bois tiré de tel arbre sera meilleur qu’un autre, ou encore, elles connaissent les qualités fourragères des différentes feuilles qu’elles récoltent pour les troupeaux.

Des bénéfices captés par les hommes
Portant sur le genre dans la production agricole, le rapport de la FAO de 2008 met en avant le fait que, lorsque les femmes travaillent pour des cultures de rente, les bénéfices sont encore captés par les hommes. Dans une certaine mesure, elles peuvent avoir accès au foncier, mais ne pourront être décisionnaires.
Reconnues pour leurs connaissances, elles ne sont pas valorisées matériellement : elles cultivent, mais n’ont pas la main sur les récoltes, ne gèrent pas l’économie, alors qu’elles en sont très souvent à la base. Que ce soit dans le cadre d’une économie familiale ou des multinationales, ce sont très majoritairement les hommes qui sont en haut de la hiérarchie, et les femmes doivent composer avec la faible marge de manœuvre qui leur est laissée.