Publié le Dimanche 15 novembre 2015 à 09h25.

« Ce minimum, c’est déjà trop pour les patrons »

Entretien. Le code du travail pour se défendre au quotidien ? Nous avons interrogé Adrien Pettré, militant syndical CGT chez Schindler Ascenseurs.

En quoi le code du travail est-il utile aux militantEs syndicaux ?

Pour être franc, le code en lui-même n’est pas « utile » aux militantEs, bien au contraire. Quand on creuse la question, on se rend compte que bien des règles sont en réalité très minimales, pour ne pas dire plus. Si tu veux un exemple concret, il suffit de regarder ce qui concerne le CHSCT : une instance de petite taille avec très peu d’heures de délégation, une présidence assurée par l’employeur, comme pour le comité d’entreprise. Ce constat est valable pour la plupart des dispositions du code du travail.

Et pourtant, ce minimum, c’est déjà trop pour les patrons. Face à cette situation, ce qui est utile, c’est de connaître les dispositions du code du travail, de façon à savoir ce que l’on doit faire appliquer, ce que l’on doit défendre et ce que le rapport de forces doit faire évoluer. Et surtout, il faut savoir « jongler » avec les différents niveaux de la législation : le code bien sûr, mais aussi les conventions collectives, les accords d’entreprise, et tout le système de jurisprudence, français comme européen. C’est souvent mission impossible pour les syndicalistes de terrain, ce qui explique le développement des cabinets de conseil et d’expertise en tout genre.

Quelle perception ont les salariéEs du droit du travail ?

Ils en ont une perception ambivalente : d’un côté, la majorité ne le connaît quasiment pas et reprend souvent le discours dominant. Mais d’un autre, ils sont souvent convaincus que le code du travail les protège sur certains points. Sur les questions de discipline par exemple, ils sont souvent très surpris d’apprendre que le patron n’a pas à leur dire avant leur entretien pour quels faits exacts ils sont convoqués. La justice à l’extérieur de l’entreprise, ça ne fonctionne pas comme ça. Et c’est la même chose en ce qui concerne le licenciement : le patron fait ce qu’il veut. Le fait que même à la suite d’un accident du travail l’employeur puisse licencier un salarié, est perçu comme incroyable. Quand j’accompagne un salarié, une partie de l’échange au début consiste souvent à lui ôter de la tête ces idées fausses.

Pour l’essentiel, ce que les salariés connaissent en réalité du code du travail, c’est le comité d’entreprise avec les confusions qui le caractérise, entre prestation de services, lieu de concertation avec le patron, et outil de résistance sur le terrain juridique. Le CHSCT lui-même est parfois perçu de façon ambiguë dans ses missions qui apparaissent comme du contrôle ou des sanctions. Mais ils ne font pas forcément le lien entre le code et les éluEs.

Le gouvernement prévoit de revoir la législation sur le temps de travail dès 2016. Pourtant, des boîtes comme Schindler ne semblent pas avoir besoin de plus de « liberté »...

Nous sommes en plein dedans, puisque la direction Schindler vient de lancer une négociation de révision de l’accord de 2001 sur la réduction du temps de travail, pour retirer à une partie du personnel au moins la moitié de leurs RTT. Autant dire que la direction n’a rencontré aucune difficulté pour lancer cette négociation et qu’en définitive, elle pourra faire ce qu’elle veut. Mais ce thème, pour le gouvernement, l’État et le patronat, c’est avant tout un enjeu idéologique.

Patrons et gouvernement opposent rigidité du code du travail et dialogue social. Ton avis ?

Vouloir nous faire croire que la réforme du code conduira à plus de dialogue, c’est une ­supercherie. D’abord, ce n’est pas du tout l’objectif du patronat, ceci même si une grande partie du mouvement syndical y fonde une large part de sa légitimité. En réalité, il n’a jamais digéré les concessions qu’il a été obligé d’accepter au cours du 20e siècle face aux luttes des travailleurs. La simple idée de « représentant du personnel », avec une étiquette syndicale, ça lui est insupportable.

Ensuite, je pense qu’il faut arrêter de parler de « dialogue social ». Ce truc est une arnaque : on veut nous obliger à aller discuter, à accepter et à négocier les reculs, et en même temps, les équipes sur le terrain se font matraquer. L’exemple d’Air France a clairement montré ce que c’est que le « dialogue social » : les suppressions d’effectifs et la matraque, le conseil de discipline, etc. Il est temps que cette expression disparaisse du vocabulaire syndical et que l’on redonne toute sa place à la notion de conflit.

Propos recueillis par Robert Pelletier