Dans la situation actuelle, le télétravail est présenté comme une « chance » pour les salariés. Ils et elles continuent à toucher un salaire ; ils et elles n’ont pas à se déplacer dans les transports collectifs où le virus circule…
Avant la crise, le télétravail régulier était une pratique peu répandue et qui concernait les cadres. Désormais ce seraient 39 % des employéEs des entreprises de plus de 10 personnes qui télétravaillent avec les tensions qui en résultent d’avoir son boulot et la charge familiale confinés à domicile. La crise sanitaire a fait sauter tous les dispositifs qui en faisaient un accord individuel et consenti par le ou la salariéE. Les entreprises ont imposé le télétravail pour continuer leurs activités tertiaires, dans des conditions dégradées. Pour pérenniser le télétravail imposé, le ministère du Travail s’est senti obligé d’éditer un guide.
Augmentation de la productivité
Dans de grandes entreprises, le travail à distance a été mis en place pour transformer l’organisation du travail et augmenter la productivité. Des tâches simples ou complexes sont effectuées indépendamment d’une localisation physique. La recherche de baisse des coûts a incité à la division du travail à l’échelle planétaire et à développer des activités en Inde, au Maroc, sur l’Ile Maurice ou dans des régions du territoire où les salaires sont plus bas qu’en région parisienne. C’est le cas d’activités de plateformes téléphoniques, mais aussi d’assistance informatique ou de gestion des dossiers clients. C’est également, avec internet, la possibilité de déporter des tâches de gestion ou de suivi vers les clients, qui exécutent eux-mêmes leurs demandes. Petit à petit les dossiers papier sont supprimés. Tout est numérisé, stocké sur des serveurs. Les stocks sont suivis en temps réel.
En parallèle, la recherche de baisse des coûts immobiliers a amené de grandes entreprises à déménager vers des sites aux loyers moins élevés, diminuer les surfaces, passer des bureaux particuliers ou collectifs à des open space avec un bureau fixe, à des plateaux sans place attribuée. Couplé avec le télétravail, cela s’appelle le flexwork ou le travail flexible, les chaises musicales ne sont pas un jeu mais une réalité. Leurs charges : repas, chauffage, électricité, sont déportées vers les domiciles des salariéEs et les entreprises misent à terme sur la diminution de leurs frais fixes. Si le code du travail leur demande de prendre en charge les frais internet, les accords collectifs peuvent désormais y déroger.
Le métro est supprimé, il reste le boulot et le peu de dodo.
Un piège et un prétexte pour des pratiques abusives
En temps ordinaire, le télétravail nécessite donc l’accord du ou de la salariéE. Un avenant au contrat de travail le formalisait et nécessitait une autonomie sur un poste. CertainEs se voyaient refuser le droit au télétravail par manque de confiance de leur hiérarchie ou parce que leurs tâches « n’étaient pas éligibles ». D’autres n’en voulaient pas pour ne pas voir empiéter leur travail dans leur univers personnel et privé. D’autres, notamment des femmes, pour ne pas être perturbées par la charge mentale de double journée et de la maisonnée.
Le télétravail est « vendu » pour diminuer le temps consacré au transport et comme un geste pour diminuer le « bilan carbone des entreprises». Il permettrait de travailler au calme, de donner de la souplesse à la vie personnelle : ne pas stresser pour aller récupérer les enfants à l’école par exemple. Tandis que beaucoup ont vu leur journée de travail s’allonger avec le télétravail, cela est devenu un piège et un prétexte pour des pratiques abusives : envoyer un mail le dimanche soir pour un rapport le lundi. Travailler un jour de congé, parce que les charges sont trop lourdes, « dépiler » sa messagerie professionnelle le dimanche soir, pour « bien démarrer » le lundi. Le « droit à la déconnexion » est écrit dans les chartes ou les accords collectifs mais laissé à la responsabilité individuelle, jamais lié à l’organisation ou à la charge de travail.
Le télétravail contribue à la casse du collectif et à l’isolement. Il restreint les rapports sociaux informels à la machine à café ou sur un plateau. UnE travailleurE en burn out, trop chargé, isolé, ne se voit pas. L’empiétement sur la vie privée et le souci de contrôle du manager peut devenir excessif : appels téléphoniques, messages instantanés. Les dysfonctionnements informatiques peuvent contribuer au stress quand les objectifs sont maintenus.
La crise va accélérer les solutions qui permettent d’effectuer le travail à distance. Beaucoup ont été jetés dans le bain numérique, sans distinction et sans précaution, pour le plus grand profit des actionnaires ! Le risque de contamination a fait accepter aux travailleurEs des conditions de travail dégradées, pas sûr que cela continue : le numérique, cela permet également de s’organiser !