Publié le Mercredi 5 mars 2025 à 10h11.

Construire une grève dans la santé : un défi

Dans les hôpitaux et les structures de soins, malgré la dégradation des conditions de travail, les mouvements de grève ont du mal à se généraliser et sont souvent sectoriels. Les difficultés de construction d’un rapport de forces sont réelles, d’autant plus que les équipes syndicales sont souvent en difficulté.

Les métiers de la santé :
un secteur féminisé

Si les femmes sont majoritaires dans les métiers de la santé (environ 70 %), elles sont encore plus nombreuses dans les métiers du soin les moins valorisés (aides-soignantes, auxiliaires de vie, agentes de service hospitalier). Dans ces métiers, les compétences des femmes sont mal reconnues : l’empathie, l’écoute, l’attention sont autant de qualités que les soignantes ont dû acquérir et développer mais qu’on attribue à leur genre comme si c’était « naturel » ou « inné ». Dans nos sociétés patriarcales, les rôles genrés font reposer sur les femmes le travail de la reproduction sociale, du « care ». Les femmes sont donc à la fois encouragées à exercer ces métiers-là et à y développer une forte conscience professionnelle. Les soignantes sont prises dans une contradiction : leurs conditions de travail sont parfois tellement dégradées qu’elles sont dangereuses pour la sécurité des patientEs. Mais se mettre en grève ou agir, paraît insurmontable car cela mettrait d’autant plus en difficulté le service.

Journées de 12 heures

Par ailleurs, ce faible niveau de reconnaissance de leurs compétences s’accompagne d’un faible niveau de rémunération, ce qui a des conséquences lorsqu’il s’agit de s’organiser pour faire grève. L’organisation du travail en 12 heures est très populaire parmi les soignantes car réputée pour comptabiliser moins de « jours de présence » à l’hôpital. Dans un contexte où la norme est de travailler avec des horaires décalés et un week-end sur deux, la perspective de passer moins de jours dans l’établissement et d’avoir plus de jours de repos est alléchante, d’autant qu’encore une fois cela les « libère » pour les tâches domestiques et de soins aux enfants. 

En plus d’être délétère pour la santé des soignantes et leur capacité de prise en charge des patientEs, cela crée deux difficultés : d’une part, les organisations de travail en 12 heures sont défavorables aux équipes car elles tendent à les diviser en équipe/contre-équipe qui ne se croisent finalement jamais, ne sont plus amenées à travailler ensemble, donc à poser leurs difficultés en commun et à penser leur organisation de travail. D’autre part, le moindre jour de grève avec les journées de 12 heures pèse plus lourd dans le salaire total en fin du mois.

Retrouver des moyens d’action : une nécessité face aux assignations

Officiellement conçues comme un moyen d’assurer la « permanence des soins », les assignations en cas de grève permettent à l’hôpital d’obliger une agente à travailler lorsqu’elle exerce son droit de grève. L’assignation est donc en théorie prévue comme une exception. À l’hôpital, elle doit être justifiée par le maintien des effectifs minimums pour fonctionner. Seulement voilà, dans de nombreux services les agentes sont en permanence en effectif minimum ! Elles sont donc en permanence assignées. À terme, cela donne des situations ubuesques où le droit de grève perd complètement son sens : les agentes savent qu’elles seront assignées, les cadres savent qu’elles vont assigner… allant jusqu’au stade où plus personne n’assigne et où tout le monde vient travailler. 

La feuille de grève devient une sorte de « pétition » sans conséquences matérielles. À terme, cette incapacité concrète à penser la grève comme un mouvement où on quitte le travail nous empêche de le poser comme un moyen d’action utile pour lutter. On ne s’organise pas concrètement pour le mettre en œuvre (caisse de grève, soutien des patientEs et de leur famille, collectifs locaux de défense de l’hôpital, etc.) et l’absence de pratique commune entraîne une vraie difficulté de fond à convaincre de s’organiser ensemble.

Pour les organisations syndicales c’est un véritable « challenge » à surmonter. Cela doit passer par le fait d’informer correctement les collègues sur le droit de grève, résister à la culpabilité vis-à-vis des patientEs et repenser des moyens d’action en commun avec les patientEs, les collectifs locaux, les associations de patientEs, etc.