Publié le Mercredi 23 novembre 2016 à 10h01.

Jacqueline Sauvage, symbole malgré elle

Cette « affaire » a fait grand bruit et a remis sur le devant de la scène médiatique les violences conjugales, que le mouvement féministe avait bien du mal à rendre visibles. Elle symbolise à elle seule les errements d’une justice et d’une société à deux vitesses, prompte à sanctionner les femmes sans se donner les moyens de les protéger.

Jacqueline Sauvage a été condamnée à deux reprises à dix ans de prison ferme pour le meurtre de son mari, sans que ne lui soit jamais reconnu aucune circonstance atténuante. Pourtant cette femme n’a fait que se défendre d’un mari violent, auteur de violences conjugales répétées depuis près d’un demi-siècle sur elle, et de viols et violences sur leurs enfants. Une fois de plus et une de trop, elle a voulu riposter et lui a tiré dessus, dans le dos, pour mettre fin à ces souffrances. Ici, contrairement à ce que l’on aurait fait pour un flic, on ne lui a reconnu aucune légitime défense, malgré ce qu’ont plaidé ses avocates.

La cruauté du système judiciaire...

La mobilisation citoyenne et médiatique n’a démarré qu’en 2015 au moment de son procès en appel qui a confirmé la condamnation initiale. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes, et une pétition en ligne a reçu plus de 435 000 signatures pour réclamer sa libération immédiate, jugeant que son maintien en prison était inutile et inhumain. Obligé d’intervenir, Hollande ne lui a accordé qu’une grâce partielle, ce qui ne diminue qu’un peu les délais dans lesquels elle peut demander une libération conditionnelle. Mais le juge d’application des peines a refusé une première fois cette libération, argumentant que le soutien qu’elle a reçu l’empêche de réfléchir à la gravité de son acte, et qu’elle s’est trop positionnée en victime, n’exprimant ainsi aucune repentance de son acte... Un appel de cette décision devrait être rendu le 24 novembre (dont nous ne connaissons donc pas le rendu au moment où sort ce journal), mais nous espérons qu’il sera positif pour qu’elle puisse enfin être libérée.

Si l’affaire a pris une telle ampleur médiatique, c’est bien qu’il symbolise toute la cruauté d’un système judiciaire qui punit si fort les femmes qui osent se défendre, tout en étant bien laxiste envers ses auteurs. C’est ce que nous ne cessons malheureusement de rappeler tous les 25 novembre : il y a toujours en France 200 000 femmes par an qui subissent des violences de la part de leur conjoint ancien ou actuel, et cela dans une relative indifférence. Les faits étant tellement durs à prouver, la plupart de celles qui osent porter plainte n’obtiennent que rarement des condamnations. La société a du mal à soutenir et à protéger ces femmes, jugeant qu’elles sont un peu responsables de n’avoir ni rompu ni quitté le domicile conjugal, méconnaissant ainsi les multiples obstacles que cela représente : être autonome financièrement, pouvoir se loger, protéger ses enfants, s’éloigner éventuellement de la famille, etc.

… à l’image d’une société patriarcale

Les 134 cas de féminicides par an sont là pour nous rappeler qu’il faut agir, et ne pas laisser les femmes dans leur isolement, en attendant que l’irréparable se produise. De même, comme l’a montré le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité, les viols sont quasiment impunis en France. Le chiffre, pourtant énorme, devrait indigner et forcer la société à se regarder en face : 84 000 viols ont lieu par an, soit 1 toutes les 7 minutes ! Encore une fois, malgré la peur, la honte parfois, et le manque d’accueil dédié dans les commissariats, celles qui osent porter plainte (seulement 10 % des victimes) n’obtiennent que très rarement des condamnations, quand celui-ci n’est pas requalifié en agression sexuelle. On condamne donc chaque année en France seulement 1 % des violeurs... Autant dire que l’on envoie clairement un message d’impunité.

Dire ces violences, les chiffrer et les mettre sur la place publique, c’est donc obliger la société à regarder en face ce qu’elle produit. Malgré les lois votées et les grands principes affichés, nous vivons bien dans une société patriarcale qui tolère toujours ces violences, et qui offre une relative impunité à ses auteurs, en partie à cause d’un système policier et judiciaire sexiste, peu formé et perclus de stéréotypes.

Si le cas de Jacqueline Sauvage indigne autant, c’est bien qu’elle offre à une échelle large cette vision d’une double réalité : une société dans laquelle les Balkany, Sarkozy, et autres fraudeurs vivent en toute impunité, mais où elle, Jacqueline Sauvage, est en prison...

Hélène Pierre