En septembre dernier, le viol d’une mineure de 11 ans par un adulte de 28 ans était qualifié de simple atteinte sexuelle par le tribunal de Pontoise. Le motif est que les faits avaient eu lieu « sans violence ni contrainte ni surprise ». Par conséquent, l’enfant était tenue pour consentante par la justice et les faits qualifiés d’agression sexuelle.
Cette décision, révélée par Mediapart, a suscité stupéfaction et colère bien au-delà des milieux féministes. Des pétitions de dénonciation ont recueilli plusieurs centaines de milliers de signatures en quelques semaines. L’affaire a été renvoyée en février 2018.
Vide dans la législation française
À peine deux mois plus tard, une décision est prise cette fois par la cour d’assises de Meaux concernant une petite fille de 11 ans violée par un homme de 22 ans à l’époque des faits : acquittement de l’auteur de ce crime sur les mêmes motifs, « la contrainte, violence ou surprise » n’était pas établie ! À aucun moment l’âge de la jeune victime n’est pris en compte !
Ces faits mettent en lumière un vide dans la législation française concernant la protection de l’enfance : il n’y a pas d’âge légal en dessous duquel la question du consentement ne se pose pas en matière de rapports sexuels. Dans la plupart des pays européens cette législation existe et se situe entre 12 et 16 ans. M. Schiappa a annoncé une proposition de loi prochainement à ce sujet. Le HCE préconise l’âge de 13 ans, plusieurs associations féministes celui de 15 ans, correspondant à une majorité sexuelle de référence.
Avant 1978, alors que le viol était un crime inscrit dans le code pénal depuis 1810, les viols étaient systématiquement déqualifiés quand les femmes n’étaient pas tuées. Le procès d’Aix en 1978 a marqué un tournant : deux jeunes femmes ayant subi un viol en réunion se sont battues pour le faire reconnaître juridiquement et le porter devant la cour d’assises, soutenues par l’avocate G. Halimi et par les mobilisations féministes. Une nouvelle loi a été adoptée en 1980.
La mobilisation a permis que la peur et la honte changent de camp
Faut-il rappeler que c’est ce qui a permis de faire sortir de l’ombre les incestes, viols et agressions sexuelles sur enfants, dont une majorité se passe dans la famille ou l’entourage proche et qui touchent majoritairement les filles ? Parce que la mobilisation a permis que la peur et la honte changent de camp, des femmes ont parlé, écrit, dénoncé les viols et les incestes.
Encore aujourd’hui les chiffres montrent que nous n’en avons pas fini avec cette histoire ! 6 % des FrançaisEs déclarent avoir été victimes d’inceste, une proportion qui monte à 9 % chez les femmes (sondage AIVI/Harris Interactive, 2015). Une enquête de 2015 sur l’impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte a montré que 81 % des violences sexuelles débutent avant l’âge de 18 ans, 51 % avant 11 ans, 21 % avant 6 ans (IVSEA 2015).
Un article du Monde diplomatique du mois de novembre 2017 confirme ce que plusieurs associations féministes dénoncent depuis longtemps : 60 à 80 % des faits de viol sont correctionnalisés faute de moyens, et sur consigne même du ministère : « Même si la correctionnalisation est juridiquement illégale (…) les assises sont dans l’incapacité d’absorber tous les crimes sexuels. » Cette situation est intolérable, elle revient à légitimer la banalisation de ces crimes. Tous ces faits sont inquiétants et révélateurs du maintien dans un état d’archaïsme de la société et de ses institutions, et de la force du patriarcat. Ce que nous dit la justice dans les deux récentes affaires de viols commis sur des petites filles, c’est la banalisation de ce crime et l’impunité totale pour les agresseurs. Banalisation et impunité qui nous reviennent dans la figure à peine 40 ans après les premières batailles des féministes pour faire reconnaître le viol comme un crime.