Quatre décennies après le 10 mai 1981, ce sont peut-être quelques-unes des mesures sociales prises alors qui peuvent encore valider l’idée que des mesures progressistes, de gauche, ont pu être mises en œuvre au delà de l’emblématique suppression de la peine de mort.
Certes, la cinquième semaine de congés payés est quasiment la seule mesure ayant résisté à 38 années de développement des politiques néolibérales appliquées avec une belle constance par tous les gouvernements de « gauche » et de droite qui se sont succédé.
Mais bien d’autres mesures, plus ou moins effacées depuis, restent des marqueurs de « gauche ».
Ainsi en va-t-il du droit à la retraite à 60 ans pour une majorité de travailleurEs ou du droit à la retraite anticipée pour les fonctionnaires ayant trois enfants, progressivement réduits à néant depuis, malgré de nombreuses et puissantes mobilisations.
L’engagement de la réduction du temps de travail, promis pour être porté à 35 heures par semaine, se limitera à une réduction à 39 heures et ne reviendra d’actualité que dans le cadre des contradictoires lois Aubry des années 2000.
Des réformes et mesures significatives
D’autres réformes significatives sont mises en œuvre. L’accroissement des pouvoirs et moyens de comités d’entreprise (mais sans droit de blocage des licenciements), la création des comités centraux d’entreprise, de groupe, l’accès de représentants des ingénieurs, cadres et techniciens aux conseils d’administration dans le secteur privé et surtout accès un statut indépendant des Comités d’hygiène, sécurité et conditions de travail. La gestion du secteur public est décentralisée, démocratisée avec des instances de direction tripartites (collectivités publiques, travailleurEs, usagerEs), ou dotées d’un conseil de gestion élu par les travailleurEs et d’un conseil de surveillance. La mise en place de temps consacré à l’information et à l’expression collective apparaît souvent comme une tentative de mise à l’écart des déléguéEs du personnel.
Des postes et des prérogatives qui vont amplifier les contradictions de l’activité syndicale de plus en plus accaparée par la vie des institutions représentatives du personnel au détriment de l’activité revendicative.
La loi du 13 novembre 1982, inscrite dans les lois Auroux, introduit une obligation de négocier au niveau tant de la branche que de l’entreprise, la possibilité de conclure des conventions et accords collectifs de travail dérogeant à des dispositions législatives et réglementaires. Bien qu’encadré par le droit d’opposition éventuel des organisations syndicales non signataires, cela constitue la porte entrouverte aux nombreux élargissements des possibilités de dérogation couronnés par les modifications profondes introduites par les lois « El Khomri » et les réécritures destructrices du Code du travail.
Certaines mesures restent significatives : la création de l’ISF, le statut de travailleuses à part entière sera reconnu aux conjointes d’agriculteurs, de commerçants et d’artisans, la gratuité de la contraception et la facilitation de l’accès à l’IVG, le congé parental ouvert pour moitié au père et à la mère, rémunéré et assorti de garanties de réintégration dans l’emploi, etc.
D’autres (renforcement du CDI, augmentation du SMIC, des allocations familiales, vieillesse, aides au logement, préconisation en matière d’égalité hommes/femmes) ne résisteront pas aux politiques néolibérales engagées dès 1983.
Attentisme revendicatif
Sur la question de l’immigration, c’est l’époque où Georges Marchais, secrétaire général du PCF, écrivait : « La cote d’alerte est atteinte […]. Il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage » tout en ajoutant : « Je précise bien : il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. Mais non chasser par la force les travailleurs immigrés déjà présents en France… » C’est ce principe qui justifie la régularisation « massive » engagée en août 1981 : près de 90 % des dossiers recevront une réponse positive (131 000 sur 149 000 demandes). Ce qui n’empêchera pas Pierre Mauroy de déclarer le 16 avril 1982, à propos des grèves des OS immigrés chez Renault Flins et Billancourt : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés dont je ne méconnais pas les problèmes mais qui, il me faut bien le constater, sont agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises ».
Beaucoup de ces mesures seront principalement portées par la CFDT et les représentants de la « Deuxième gauche » (Rocard, Delors) largement présents dans le gouvernement et les ministères. Annonces et réalisations qui vont largement contribuer à justifier l’attentisme voire le soutien initial peu conditionnel du mouvement ouvrier et notamment des directions des organisations syndicales. Et plus grave, à semer la confusion dans ces dernières et notamment dans la CGT. Sur un fond d’attentisme revendicatif engendré par la situation économique, le chômage, c’est la dépolitisation, le désengagement militant qui vont se développer. Avec son corollaire de progression de l’extrême droite. Autant de paramètres de la situation politique d’aujourd’hui.