Le 6 octobre 1973, l’armée égyptienne franchit le Canal de Suez le jour de la fête juive de Yom Kippour et prend à revers les troupes israéliennes stationnées dans le Sinaï. Ses alliés syriens lancent au même moment une offensive sur le plateau du Golan. Ces territoires, respectivement égyptien et syrien, étaient occupés par Israël depuis la guerre des Six Jours de 1967. Il s’agit pour Anouar el-Sadate et Hafez el-Assad d’asseoir leur autorité dans le contexte d’un rapport de forces très dégradé.
C’est la quatrième fois que les armées arabes et israélienne s’affrontent depuis 1948, année de la proclamation de l’État d’Israël. Dans un premier temps, surprise, l’armée israélienne est contrainte de reculer mais en moins de quinze jours elle reprend le terrain perdu et menace à son tour les pays arabes. C’est à ce moment-là que la crise pétrolière éclate.
Le pétrole comme arme politique
Les 16 et 17 octobre, en réaction à l’évolution du conflit, l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP), réunie à Koweït, annonce une série de mesures de rétorsion. Tout d’abord une réduction de la production de pétrole brut de 5 % par mois, jusqu’à ce que les Israéliens se soient complètement retirés des territoires occupés et que les droits légaux du peuple palestinien soient restaurés. Mais aussi la mise en place d’un embargo sur les livraisons de pétrole destinées aux pays qui soutiennent Israël, au premier rang, les États-Unis. Une hausse du prix du baril de 70 % est aussi annoncée ainsi qu’une augmentation des redevances versées par les compagnies pétrolières occidentales. Le 23 décembre, à Téhéran, l’OPAEP décide une nouvelle augmentation spectaculaire de 115 %. Au total, entre octobre 1973 et janvier 1974, le prix du baril est multiplié par quatre. L’OPAEP revendique une part croissante dans les opérations de production largement contrôlées par des compagnies pétrolières.
La guerre du Kippour donne aux pays arabes producteurs de pétrole l’occasion de s’accorder pour utiliser le pétrole comme arme politique. Les grands pays exportateurs vont en quelques années récupérer la maîtrise de l’extraction et de la politique des prix. C’est le premier choc pétrolier caractérisé par une modification brutale de l’offre de pétrole combinant hausse du prix, augmentation de la consommation et baisse de la production.
Une récession mondiale durable
Compte tenu de la forte dépendance de l’économie mondiale vis-à-vis du pétrole, l’augmentation brutale du prix du baril a un impact immédiat sur les pays consommateurs qui sont précipités dans une crise profonde. Pour l’ensemble des pays développés occidentaux, le déficit passe de 1,5 % du PIB pour la période allant de 1972 à 1974 à 4,6 % en 1975. On entre dans une période de « stagflation » alliant faible croissance et une forte inflation qui dépasse souvent les 10 % annuel. L’OPAEP a déjà multiplié ses prix par deux entre janvier et septembre 1973, mais l’embargo d’octobre 1973 qui dure jusqu’en mars 1974 envoie un signal politique plus fort.
L’attitude de l’OPAEP est également à mettre en relation avec à la fin des accords de Bretton Woods, décidée unilatéralement par les États-Unis le 15 août 1971, qui implique l’arrêt de la convertibilité en or du dollar. Le résultat en est une dépréciation de la valeur du dollar américain, monnaie dans laquelle les prix du pétrole sont fixés. À cela il faut ajouter l’annonce de Nixon la même année indiquant que les États-Unis, premier producteur de pétrole à l’époque, ont atteint leur pic de production.
Le choc pétrolier se traduit alors par des plans de rationnement sans précédent en temps de paix, impliquant des mesures d’économie d’énergie partout en Europe : limitations de vitesse sur les autoroutes ; normes de température dans les bâtiments publics, limitation des éclairages ; interdiction de circuler le dimanche en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas... On assiste à une diversification d’approvisionnements et la recherche d’une plus grande indépendance énergétique. La France se lance dans un programme massif de nucléaire civil comprenant plusieurs dizaines de centrales.
Le choc n’intervient pas dans un ciel serein
La guerre du Kippour va jouer en réalité un rôle de révélateur et de catalyseur en aggravant des phénomènes économiques déjà présents : ralentissement des rythmes de croissance de la production industrielle, explosion du chômage, inflation galopante, forte augmentation des déficits budgétaires, aggravation de l’inflation. L’affaiblissement durable de la croissance après le choc pétrolier montre que le mal est profond et que les causes de la crise sont en réalité multiples et structurelles. Depuis 1965 aux États-Unis, le taux de profit a déjà commencé sa baisse.
Sur fond de guerre du Kippour, l’année 1973 signe bien la fin de la parenthèse des « Trente glorieuses ». Et c’est dans ce contexte économique dégradé qu’en 1979 un deuxième choc pétrolier provoque une récession encore plus forte inaugurant la mise en place d’un capitalisme néolibéral.