Le Burkina Faso a connu de 1983 à 1987 l’expérience, peut-être la plus poussée, d’une politique de changement social qui a tenté de répondre aux aspirations des populations.
La prise du pouvoir par Sankara n’est ni un simple coup de force de quelques officiers progressistes ni une révolution populaire comme celle que nous avons connue récemment et qui a abouti à la chute de Compaoré.
Une genèse particulière
Cette prise de pouvoir combine une action d’un secteur de l’armée soutenue par une partie de la population. Si certains observateurs considèrent que Sankara a fait une révolution sans révolutionnaires, l’analyse peut sembler excessive dans sa formulation, mais a le mérite de pointer les difficultés qui surgiront pendant cette période qui restera décisive pour tous les progressistes africains.
En 1983, Sankara occupe la primature du gouvernement d’Ouédraogo. Très vite, par ses déclarations et ses actions, Sankara va acquérir une popularité parmi la jeunesse urbaine et les jeunes officiers progressistes.
En conflit avec Ouédraogo, Sankara sera limogé, puis jeté en prison avec l’appui de la France. Immédiatement, de fortes mobilisations de protestation vont se dérouler, mais ce qui va être décisif dans la libération de Sankara et sa prise du pouvoir, reste l’intervention des commandos de l’armée acquis à sa cause. Cela même si Sankara considère cette prise de pouvoir comme le prolongement des luttes populaires : « La révolution d’août a triomphé en se posant ainsi comme l’héritière et l’approfondissement du soulèvement populaire du 3 janvier 1966. Elle est la poursuite et le développement à un stade qualitatif supérieur de toutes les grandes luttes populaires. » 1
Le nouveau pouvoir incarné par le Conseil national de la révolution (CNR) va imprimer un changement radical au pays en tentant de se désengager au maximum d’une économie au service des pays riches et de leurs multinationales, pour se centrer sur la satisfaction des besoins sociaux des populations et la consommation des produits locaux.
Des réformes audacieuses
La question du remboursement de la dette aux pays riches va se poser, et dans son discours à la 25e Conférence des membres de l’Organisation de l’unité africaine à Addis-Abeba, Sankara tente d’entraîner dans ce combat ses pairs. Si le discours fut brillant, la revendication ne sera prise en charge que par les mouvements sociaux. Les chefs d’État africains n’appréciaient guère ce nouveau genre de dirigeant qui donnait de mauvaises idées à leurs peuples respectifs.
Le CNR va concentrer ses efforts sur la paysannerie, la très grande majorité de la population, par une aide financière en améliorant les systèmes d’irrigation, l’aménagement des routes, la lutte contre la déforestation et l’érosion des sols. Par contre, la mise en place d’une réforme agraire va rencontrer des difficultés dans la remise en cause d’une gestion complexe des terres prise en charge par les chefs coutumiers des villages.
Des efforts volontaristes vont être fournis pour améliorer le système de santé et impulser une politique de vaccination.
Quant à la dimension féministe du nouveau pouvoir, elle ne s’est pas limitée à des paroles, mais à des actes concrets contre l’excision et la polygamie, pour le droit au travail, le but étant que les femmes puissent être actrices de leurs luttes contre l’oppression.
Dès le début, l’idée que le peuple puisse présider lui-même à sa destinée va pousser à la mise en place dans tout le pays de Comités de défense de la révolution (CDR) chargés de la gestion d’un village, d’un quartier ou d’une entreprise, faisant fi des organisations déjà existantes. Cette erreur, tout comme la confrontation avec le mouvement syndical, a été une des sources de l’affaiblissement du CNR, ce qui a permis à Compaoré, Diendéré et ses sbires, de renverser et d’assassiner Sankara.
Mais au-delà des erreurs et des échecs, cette expérience de rupture avec l’impérialisme au service des populations reste une référence et un point d’appui dans les luttes actuelles.
Paul Martial
- 1. Discours d’orientation politique du 2 octobre 1983.