Publié le Jeudi 17 novembre 2016 à 23h36.

« Ne pleure pas, organise-toi ! »

Ces mots de Joe Hill, auteur de chansons et syndicaliste lutte de classe, exécuté en 1915 dans l’Utah pour un crime qu’il n’avait pas commis, sont largement repris dans les textes et déclarations de la gauche étatsunienne, toutes tendances confondues.

Mais la première question est celle que pose l’éditorial de Socialist Worker (site de l’ISO, International Socialist Organization) : « Comment ce monstre a-t-il pu gagner ? »

Clinton a remporté le « vote populaire » et l’élection de Trump par le « collège électoral » met en évidence le caractère antidémocratique d’un système mis en place il y a 200 ans pour protéger le pouvoir des États esclavagistes – signale Lance Selfa à l’instar d’autres auteurs. Reste la question principale : pourquoi tant de gens, qui n’auraient pas dû le faire, ont-ils voté Trump ?

Dave Zirin, responsable de la rubrique sportive de The Nation, l’hebdomadaire de gauche le plus ancien (et lu) du pays, parle d’un de ses amis : « Il ne l’a pas fait parce qu’il aime Trump. Il l’a fait en partie parce qu’il est isolé. Essayant dans ces conditions d’analyser la situation par lui-même, il a considéré qu’Hillary et la famille Clinton étaient si irrémédiablement repoussants que voter Trump est devenu sa version du "moindre mal" ».

Clinton accro aux chèques des banques

Dans sa chronique hebdomadaire pour Socialist Worker, Danny Katch rappelle qu’Hillary Clinton faisait « le siège des banques de Wall Street et des plus grandes sociétés afin d’encaisser des chèques de 250 000 dollars pour des conférences confidentielles de 45 minutes ». « Pourquoi quelqu’un qui se prépare à se présenter à la présidence ferait-il cela, à un moment où la colère à l’égard de Wall Street est à son comble ? » « Je crois sincèrement qu’elle n’a pas pu s’en empêcher – comme quelqu’un qui est accro au jeu. Les Clinton sont accros aux chèques de banque, même si cela va à l’évidence les conduire à la catastrophe. Et le reste de la classe dirigeante les a soutenus, apparemment aveugle devant cet énorme problème – parce que sur le fond ils sont tous pareils. »

Pour Keeanga-Yamahtta Taylor, « l’émergence d’Occupy, de Black Lives Matter et les douze millions de voix pour un socialiste déclaré [Sanders dans la primaire démocrate] ont montré que le statu quo ne pouvait plus être présenté comme la réponse aux crises qui assaillent le pays. Vous ne pouvez pas vous contenter de faire campagne sur le slogan "l’Amérique est déjà grande" quand pour tant de gens, ce n’est pas le cas. Vous ne pouvez pas lancer avec condescendance des promesses banales de créer des "échelles d’opportunités" quand des millions de gens se noient dans les dettes, l’insécurité et l’amertume. »

« Une colère très réelle et justifiée »

Plus généralement, ce qui est en cause est tout le système, la politique globale des Clinton, d’Obama et de l’appareil du Parti démocrate. Bernie Sanders est particulièrement sévère dans le New York Times du 11 novembre : « des millions d’Américains ont produit mardi un vote-sanction, exprimant leur opposition farouche à un système économique et politique qui place les intérêts des riches et des grandes entreprises au-dessus des leurs (…) Trump a gagné parce que sa rhétorique a su entrer en résonance avec une colère très réelle et justifiée, une colère que beaucoup de Démocrates traditionnels ont également ressentie. »

La candidate des Verts, Jill Stein, a obtenu 1 % des voix, un score décevant qui s’explique en partie par la polarisation des derniers jours et semaines, suite à la montée de Trump. Elle aussi a la dent dure, estimant que « cette élection est une réaction à ce que les votants ont vu comme un establishment politique corrompu et toxique. (…) Le Comité national démocrate (DNC) a saboté la campagne de Bernie Sanders, qui à l’évidence aurait aisément écrasé Trump. (…) Les calculs cyniques du DNC, ainsi que la méfiance et le rejet envers les politiques clintoniennes de guerre sans fin pour le pétrole, d’accords commerciaux désastreux et de soutien aux dérégulations de Wall Street qui ont fait s’effondrer l’économie et dévasté la vie de millions  de gens – tout cela a provoqué ce terrible contre-coup qui nous met tous en danger. »

Et maintenant ?

Dénonçant « les libéraux apeurés qui nous expliquent déjà comment émigrer au Canada (…) ceux qui nous ont menés vers ce précipice et maintenant préparent leur propre fuite », les éditeurs de la revue Jacobin expliquent que l’on est face à « une nouvelle ère qui appelle un nouveau type de politique ». Keeanga-Yamahtta Taylor souligne qu’une « véritable alternative au désastre du système bipartite (…) devra être ancrée dans les mobilisations réelles qui seront nécessaires pour s’affronter à Trump et au trumpisme. » L’organisation Solidarity, dans une déclaration intitulée « Construire la gauche pour battre la droite », estime qu’il faut travailler à trois niveaux : bâtir une alternative électorale, renforcer et développer les mouvements de lutte, construire les organisations révolutionnaires.

Ce qui est certain est que ces dernières, dans une situation où l’affrontement se fera d’abord (et a déjà commencé) dans la rue, sont maintenant placées devant de grandes responsabilités.

Jean-Philippe Divès