Publié le Lundi 29 février 2016 à 09h48.

Autoroutes : la nouvelle féodalité

Les droits de passage sur les routes et ponts faisaient partie des droits féodaux supprimés par la Révolution française. Destinés en principe à l’entretien de ces ouvrages, ils étaient en fait souvent détournés par ceux qui les percevaient. Le régime actuel des autoroutes a restauré une forme de féodalité au profit des actionnaires.

Le réseau autoroutier français a une longueur de près de12 000 km. Les trois quarts (9000 km environ) sont exploités sous le régime de la concession : l’État confie à une société concessionnaire le soin de construire, d’entretenir et d’exploiter certaines autoroutes, moyennant la perception d’un péage auprès des usagers. Le développement du réseau date de la deuxième moitié des années 50. Le18 avril 1955 a été adoptée une loi sur les autoroutes. « L’usage des autoroutes est en principe gratuit », stipule le texte... qui instaure en fait les péages !

Après des débats acharnés, au motif des moyens nécessaires pour développer le réseau autoroutier, le principe des concessions et des péages est instauré sous conditions. En fait, ils vont devenir la norme. Les sociétés concessionnaires sont d’abord contrôlées majoritairement par l’État. Mais, une fois construites, les autoroutes pouvaient être une bonne affaire. D’où la privatisation des sociétés concessionnaires engagées en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin qui vend au privé 49 % du capital d’Autoroutes du sud de la France (ASF). 

Au début de 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin décide de privatiser toutes les sociétés concessionnaires par décret, sans vote du Parlement. Pour 14,8 milliards d’euros que l’État reçoit immédiatement, il se prive ainsi pour l’avenir de recettes garanties beaucoup plus importantes. Ces recettes sont alors estimées entre 34 et 39 milliards d’euros : plus du double de l’argent reçu par l’État ! 

Quand la Cour décompte...

En fait, les sociétés d’autoroute se sont débrouillées pour augmenter encore plus leurs recettes, malgré un contrôle théorique de l’État sur leurs tarifs. La Cour des comptes a plusieurs fois dénoncé cette situation. L’État, en général prêt à se plier à tous les avis de la Cour quand il s’agit de réduire les prestations sociales, décide dans ce cas de ne pas en tenir compte, et continue à homologuer sans rechigner des tarifs de plus en plus favorables aux actionnaires. Par ailleurs, malgré leurs recettes, les salariéEs des sociétés d’autoroute ne sont pas à la fête, en matière d’emplois, de conditions de travail et de salaires.

En 2015, la question est revenue sur le devant de la scène. La remise des concessions a été rejetée par le gouvernement qui instaure un pseudo-mécanisme de contrôle... et valide des augmentations des péages pour plusieurs années.

Les autoroutes sont donc devenues une source de profits considérables. Le financement par les péages n’était pas inéluctable : les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont rapidement développé des réseaux très denses et gratuits. Le financement par les péages est aussi injuste : pour les automobilistes aux revenus modestes, le coût des péages devient plus lourd que ne le serait un surcroît d’impôt calculé en fonction des revenus. Enfin, les péages favorisent les transports par camions dont les surcoûts sont financés par les automobilistes. Certes, les poids lourds payent plus que les véhicules légers, mais diverses études montrent que le surcroît de péages est loin de compenser les coûts d’investissement et d’entretien des autoroutes générés par le trafic des camions.

Henri Wilno