Publié le Dimanche 25 septembre 2016 à 10h15.

Les prolétaires les plus exploités ne sont plus des salarié-E-s…

Depuis le début des années 2000, le nombre d’actifs non salariés augmente. Ils sont désormais trois millions, soit environ un actif en emploi sur 10.

Assisterait-on à un retour en force de la petite-bourgeoisie traditionnelle, commerçantEs et artisanEs ? À un retour à la terre avec une augmentation du nombre de paysanEs ? Non. Cette hausse est due uniquement à l’essor du nombre d’auto-­entrepreneurs, un régime créé en 2008, désormais rebaptisés « micro-­entrepreneurs ». Ils sont aujourd’hui plus d’un million.

Vous avez dit « indépendant » ?

Beaucoup d’entre eux, souvent les moins qualifiés, sont des acteurs de l’économie « collaborative », mieux définie par les termes « économie du service à la demande ». LivreurEs à vélo, chauffeurs, réparateurs, ils sont mis en relation avec des clients via des sites internet ou des applications mobiles. Ils sont indépendants juridiquement... mais subordonnés à des entreprises capitalistes.

En ayant recours à la sous-­traitance, à des « prestataires de service » externes, ces entreprises s’affranchissent des coûts et des « rigidités » du salariat. Plus de cotisations sociales. Plus d’indemnités de licenciement. Plus de salaires à verser quand l’activité baisse. C’est le retour du travail à la tâche. Pas besoin d’attendre que le code du travail soit complètement détricoté, il suffit de le contourner !

Le travailleur auto-entrepreneur n’a pas grand chose d’un « indépendant » ; s’il l’est, c’est par rapport à ses collègues : atomisé, il n’est pas intégré à un collectif de travail, ce qui le fragilise vis-à-vis du capitaliste qui l’exploite.

La « fin du salariat » ?

Beaucoup d’auto-entrepreneurs sont donc des prolétaires surexploités qui gagnent bien moins que le SMIC. Cela se reflète dans le taux de pauvreté des travailleurs indépendants (18,8 %) largement supérieur à celui des salariés (6,3 %). Ainsi, un tiers des auto-entrepreneurs exerce en parallèle une activité salariée pour tenter de sortir de la pauvreté. Le passage de salarié à indépendant est parfois organisé directement par l’entreprise : 8 % des auto-entrepreneurs déclarent avoir créé leur entreprise à la demande de leur ancien ou futur employeur. Difficile de nier le lien de subordination ! Et Pôle emploi d’encourager les chômeurEs à « créer leur propre emploi » en devenant auto-entrepreneur.

Hervé Novelli, l’inventeur de ce dispositif alors qu’il était secrétaire d’État de Fillon, rêve à voix haute de la « fin du salariat » qui n’aurait pas vocation à rester la norme dans une « société moderne ». Le danger d’une précarisation généralisée avec une désalarisation des travailleurs est bien réelle. C’est pourquoi la bataille pour requalifier le contrat de prestation de services qui lie l’auto-entrepreneur à l’entreprise en contrat de travail est décisive. Tous les travailleurs doivent bénéficier des institutions salariales, fruit des luttes ouvrières. Avec, au-delà, l’objectif d’émanciper le travail de l’emprise du capital.

Gaston Lefranc