Publié le Dimanche 24 octobre 2021 à 18h00.

La dématérialisation des démarches pour les étrangerEs : le mur du silence

Pour les personnes étrangères, l’accès à leurs droits a toujours été très difficile, dans des conditions indignes, irrespectueuses, injustes. Et en plus il faut aller très souvent en préfecture pour répondre aux tracasseries continuelles de l’administration…

Avec la dématérialisation, on est passé d’une situation horrible (il fallait faire la queue toute la nuit pour espérer pouvoir entrer le matin dans la préfecture) à plus dramatique : cliquer tous les jours sur un téléphone ou un ordinateur pour obtenir un rendez-vous et voir sans cesse le même écran « pas de rdv ». Le scandale visible dans les files d’attente est devenu invisible. La difficulté à manier l’internet, à lire le français est aggravée par des sites mal faits, une volonté souvent assumée, par exemple à Nanterre, de « cacher » la case où cliquer pour la régularisation des sans-papiers.

Face aux mobilisations, les préfectures ont apporté quelques améliorations, mais sans renoncer à l’obligation de passer exclusivement par un traitement internet des demandes, malgré des condamnations par le tribunal comme à Rouen, de cette obligation.

Démarches (pas du tout) simplifiées

La plus belle « amélioration » de l’accès au service public s’appelle « démarches simplifiées », et simple bien sûr ça ne l’est pas ! Il faut créer son « espace personnel », trouver (sans certitude) la bonne case et y déposer tous ses documents scannés. On voit ce que cela nécessite en maîtrise d’internet, du français et de l’outil pour scanner… Et les réponses sont très très lentes ! Une demande de DCEM (document de circulation pour les mineurEs, indispensable pour aller voir des grands-parents, faire un voyage scolaire) faite en mars est aujourd’hui toujours sans réponse et c’est pourtant un document simple. De même pour faire valider un permis de conduire obtenu à l’étranger. Le renouvellement des titres de séjour est lui aussi impossible dans les délais pourtant impératifs : sans titre de séjour mis à jour, un bon prétexte à licencier pour de nombreux patrons, perte des droits à Pôle emploi, à la CAF. Et comment convaincre un futur employeur… Et ça peut durer plusieurs mois.

Pour les sans-papierEs, pas de démarche simplifiée, il faut obtenir le rendez-vous pour déposer un dossier. Et souvent, s’il manque une pièce, il faut revenir et donc essayer à nouveau d’obtenir un rendez-vous… Un marché des rendez-vous s’est développé, tant il est difficile de les obtenir sur internet : on paye ainsi 300, 400 ou 500 euros à un « vil profiteur », qui fait tourner un robot et ­parvient à trouver une place.

En Île-de-France, plusieurs associations se sont groupées dans le collectif Bouge ta préfecture et déposent collectivement des recours en justice pour obliger les préfectures à donner des rendez-vous sur la base du dossier d’une personne « régularisable » et la preuve qu’elle essaie depuis plusieurs semaines de prendre rdv (captures d’écran de leurs tentatives infructueuses). Depuis plus d’un an, cette action et les manifestations qui accompagnent chaque dépôt collectif de recours ont permis de montrer ce qui devait rester invisible, et de sortir des centaines de personnes de la galère, et parfois les tribunaux ont infligé des amendes de 800 ou 1 000 euros. La dématérialisation est un instrument redoutable pour encore plus discriminer les étrangerEs.

Meeting Bouge ta préfecture, mardi 30 novembre à 18 h, à la Bourse du travail de Paris, 75, rue Charlot.