Jean-Pierre Esquenazi, chercheur en sciences de la communication, nous invite opportunément à réévaluer les séries télévisées, et en particulier les séries américaines (de Star Trek et Columbo aux plus récentes Ally McBeal, Urgences, Les Sopranos, Sex and the City, Desperate Housewives…). Il interroge leur double caractéristique de « produits commerciaux » et d’« objets culturels ». Ce qui préserve des marges d’autonomie créatrice et critique. En prendre la mesure suppose de rompre avec un certain mépris élitiste : « Ainsi n’avons-nous jamais su nous défaire d’une conception aristocratique de la culture et sommes restés prisonniers d’une peur instinctive vis-à-vis du peuple, non en tant qu’acteur politique, mais en tant qu’acteur culturel ». Il s’adosse à une enquête auprès d’amateurs de séries, repérant de véritables « petites communautés de téléspectateurs », susceptibles de s’élargir à des cercles plus grands de sociabilité autour de telle ou telle série ; l’intime se nouant à des embryons de collectif. Cette approche nous incite à complexifier notre critique des médias : 1) en identifiant des zones de contradictions et de jeu au sein des « industries culturelles » capitalistes reconduisant largement, par ailleurs, les stéréotypes dominants, et surtout 2) en récusant la vision misérabiliste d’une masse de téléspectateurs supposés totalement « aliénés », et donc en intégrant davantage leurs capacités critiques et leur activité imaginaire, points d’appui potentiels d’une politisation anticapitaliste. Tordant quelque peu le bâton dans l’autre sens, Esquenazi tend toutefois à sous-évaluer les contraintes socio-économiques et idéologiques sur la production des séries.
Philippe Corcuff Le Cavalier bleu, 96 pages , 14,60 euros