Publié le Dimanche 30 janvier 2011 à 22h00.

La révolte ouvrière au Bangladesh

Dimanche 12 décembre, Bangla­desh : la police tire à balles réelles sur une foule d’ouvriers du textile en colère, tuant quatre manifestants et faisant de nombreux blessés. La répression policière à Dacca et à Chittagong (sud-est) contre les dizaines de milliers d’ouvriers du textile n’empêche pas le mouvement de continuer le lundi 13 décembre. Plus de 4 000 ouvriers blo­quaient alors les routes et occupaient le district de Gazipur (au nord). L’enjeu ? Pour les tra­vail­leurs, il s’agit d’arracher le minimum nécessaire à leur survie. Pour les employeurs et l’État, il faut sauvegarder un « business-friendly envi­ronment », c’est-à-dire un bagne capitaliste semblable à ceux qu’on rencontre dans La situation de la classe ouvrière en Angleterre de F. Engels (1844).

Commencé en juin, le mouvement social au Bangladesh s’est rapidement heurté à la répression de l’État : arrestations arbitraires, utilisation de gaz lacrymogènes et de bal­les de caoutchouc, tirs à balles réelles, emprisonnement et filature de militants syndicaux. Les syndicats ouvriers ne sont autorisés que dans les usines à l’extérieur des six zones franches d’exportation et à condition qu’au moins 30 % des salariés en fassent la demande. Autant dire que la bourgeoisie exerce une dictature sans partage dans le secteur de l’habillement-textile qui représente 80 % des exportations nationales. La violation des droits des travailleurs n’est cependant pas le seul fait de l’État et des fabricants-exportateurs bangladais. Les donneurs d’ordre sont des firmes occidentales : Gap, Zara, H&M, Lee, Gildan, Burton, etc. Les prix d’achat des vêtements fabriqués dans les usines du Bangladesh sont fixés par ces firmes.

L’absence de droits politiques n’a pourtant pas suffi à effrayer les travailleurs. Des centaines de milliers d’entre eux ont cessé le travail au Bangladesh et au Cambodge entre juillet et septembre dernier. Pourquoi ? Pour assurer leur survie. Leur revendication est un salaire qui couvre leurs besoins vitaux, c’est-à-dire 55 euros par mois. Lorsque, le 30 juillet, gouvernement et employeurs ont fait passer le salaire minimum mensuel au Bangladesh de 19 à 32 euros, la réponse des ouvriers a été une grève massive (jusqu’au 10 août), des manifestations, le blocage des autoroutes de la capitale et la mise à sac de magasins de luxe et de certaines usines. Précédemment, entre le 19 et 22juillet, les ouvriers avaient fait grève et érigé des barricades pour affronter les forces de l’ordre dans le district industriel au nord de Dacca.1 Le mouvement récent (en décembre) récla­mait l’application immédiate des accords du 30 juillet. L’État et les employeurs ont sans cesse reporté leur application alors qu’ils devaient être mis en œuvre dès le 1ernovembre.2

Effrayée par la portée de la grève au Bangladesh, la junte militaire en Birmanie a décrété le 20 août dernier que tout salarié qui participe à une grève ou une manifestation sera inscrit sur une liste noire et licencié sur le champ.3 Au Cambodge, 200 000 travailleurs du textile ont fait grève du 13 au 15 septembre pour exiger un salaire de 93 dollars par mois.4 Craignant une contagion de la révolte ouvrière dans toute la région de l’Asie du Sud-Est, les employeurs et les États capitalistes ont fait preuve d’une conscience de classe aiguisée.

Qui sont ces ouvriers révoltés ? Il s’agit en majorité de jeunes femmes venues des campagnes, vivant dans les bidonvilles, travaillant douze heures par jour, six, et souvent sept jours par semaine, et dont le travail est rémunéré à la pièce. Ces jeunes filles fuyant la misère des campagnes ont aujourd’hui fait voler en éclat l’idée chauvine que les travailleurs asiatiques sont toujours prêts à tout pour un salaire de misère. D’autre part, ces mobilisations collectives démentent l’idée que le prolétariat aurait disparu. Sa transformation n’en a pas fait une classe «intégrée» au système capitaliste comme le prétendent certains théoriciens critiques. Ces mouvements de masse mon­trent enfin que l’industrialisation de l’Asie, bien qu’elle ait été vécue par le mouvement ouvrier en Europe comme une menace au cours des quarante dernières années, a posé néanmoins les fondements (et donc la possibilité) d’une union élargie et renforcée des travailleurs face au capital. 

Dimitris Fasfalis

1.Le Monde, 30 juillet et 10 août 2010. AFP, 22 juillet 2010.

2.L’Humanité, 13 décembre 2010.

3.Voir l’appel de solidarité: http://www.europe-solida….

4.Le Monde, 17 septembre 2010.