Publié le Samedi 30 avril 2011 à 10h54.

USA. La bataille de Madison

Pendant plusieurs semaines de février et de mars 2011, l’État du Wisconsin et sa capitale Madison, au nord des États-Unis, ont été le théâtre de mobilisations d’une ampleur et d’une combativité inédites contre la politique des nouvelles autorités de l’État visant, de façon très claire et directe, à faire payer la crise aux classes populaires en imposant dans le secteur public des coupes salariales drastiques, ainsi qu’en s’attaquant aux droits syndicaux.

Ce grand mouvement ouvrier et populaire, le premier aux États-Unis depuis des années, s’est en outre accompagné de références incessantes aux révolutions dans le monde arabe. On a, par exemple, vu le gouverneur républicain se faire affubler du surnom peu flatteur de « Moubarak », et les manifestants se rallier entre eux au cri (détourné d’une vieille chanson pop proposant de « danser ») de « Fight like an Egyptian », « Lutte comme un Égyptien ».

Il était dès lors naturel, si ce n’est obligatoire, de modifier le dossier États-Unis que nous avions prévu depuis quelques mois de façon à en consacrer l’essentiel à « la bataille de Madison ». Les deux premiers articles, rendant compte du déroulement du mouvement au moment où il était à son sommet, sont empruntés aux camarades suisses qui animent le site À l’Encontre. Celui qui suit présente des éléments de bilan et de perspectives après la fin des mobilisations. Un universitaire de gauche de Madison nous donne également son point de vue sur ces questions. Seul à ne pas traiter du Wisconsin, un dernier article aborde les questions du racisme aujourd’hui aux États-Unis.

Wisconsin : la guerre contre les syndicats du secteur public

Entré en fonctions au début de 2011, le nouveau gouverneur républicain de l’État du Wisconsin a engagé, au nom de la restauration de l’équilibre budgétaire, une offensive d’une ampleur jamais vue contre les travailleurs et les syndicats du secteur public. Mais cette fois, tout aussi inédite a été la riposte des salariés et de la population.

Le 8 janvier 2011, l’hebdomadaire britannique The Economist consa­crait un dossier de trois pages à la mise au pas des syndicats du secteur public, pour l’ensemble des pays capitalistes développés. En page 20, l’hebdomadaire publiait un graphique indiquant le déclin depuis 1973 du taux de syndicalisation dans le secteur privé aux États-Unis et, en opposition, l’essor de la syndicalisation dans le secteur public entre 1973 et 1980, puis la légère hausse du taux de syndicalisation, au-delà des fluctuations annuelles. En 2010, le taux de syndicalisation du secteur privé aux États-Unis se situait à hauteur de 6,9 %, celui du secteur public à hauteur de 36,2 %. Parmi les conclusions, The Economist écrivait : « Aux États-Unis, plusieurs gouverneurs républicains montants sont décidés à transformer la bataille à court terme sur le salaire et les acquis sociaux en une bataille portant sur le pouvoir des syndicats. »

La déclaration de guerre de Scott Walker

Depuis le 15 février 2011, un mouvement massif des travailleurs et des syndicalistes des services publics a pris son essor dans l’État du Wisconsin aux États-Unis. La maison du gouvernement (Capitole) de la capitale Madison a été occupée par les salariéEs. Pourquoi ? Le 7 janvier 2011, le républicain Scott Walker entrait en fonction après avoir été élu en novembre 2010.

Immédiatement, il fit don au capital de 140 millions de dollars en abaissant les impôts touchant les entreprises, y compris ceux du géant de la distribution Wall-Mart. En même temps, il clamait l’urgence de résoudre « la crise budgétaire ». Au nom du combat contre le déficit, il introduisait une loi qui aboutissait à ce que les travailleurs du secteur public paient 5 000 à 7 000 dollars de plus par année pour leur assurance maladie et pour leur retraite. Walker chercha à diviser les salariéEs du secteur public en ne faisant pas porter le poids de cette loi sur les pompiers et la police.

Le projet de Walker allait et va bien au-delà de la politique d’austérité. Il vise à briser la capacité revendicative et la force syndicale des travailleurs du secteur public. Il est possible de résumer en cinq points ce projet :

1) réduire les négociations contractuelles à la seule question des salaires ;

2) interdire toute grève du secteur public (les grévistes se trouvant placés sous la menace de la Garde nationale) ;

3) supprimer tout versement automatique de cotisations aux syndicats ;

4) limiter la durée des contrats collectifs à une année maximum ;

5) obliger les membres à revoter chaque année pour certifier ou non le pouvoir de négociation du syndicat qui les représente.

La perte salariale s’élève à quelque 20 %. À cela s’ajoutent des coupes budgétaires dans le domaine de l’éducation et des services publics. Entre autres, des coupes importantes sont prévues dans le Medicaid (assurance maladie pour les personnes à faible revenu) et dans le programme BadgerCare, un programme de soin pour les enfants issus des familles pauvres.

Walker a convoqué immédiatement une session spéciale du Parlement et du Sénat pour faire passer sa loi (« loi visant à réparer le budget »). En même temps, il fit parvenir une lettre à tous les travailleurs du secteur public en indiquant que les contrats collectifs prendraient fin le 13 mars et que cela n’était pas négociable.

Pour appréhender la nature de la riposte des salariéEs, il faut avoir à l’esprit la mutation qui s’est opérée dans le salariat et dans les organisations syndicales à la fin des années 1970. Dès cette époque-là se sont renforcés aux États-Unis des syndicats tels que l’American Federation of Teachers (AFT), la National Education Association (NEA), l’American Federation of State County and Municipal Employees (AFSCME) et l’American Federation of Government Employees (AFGE).

Ces syndicats du secteur public traduisent aussi les mutations du salariat, sa diversification et regroupent donc en leur sein un nombre croissant de femmes, d’Afro-Américains, de Chicanos. On comprend mieux la détermination des républicains et du big business à frapper avec force ce secteur du « mouvement ouvrier » encore actif et apte à résister. Ce que révèle le soulèvement des travailleurs et des travailleuses du secteur public de l’État de Wisconsin.

L’occupation du Capitole

Le mouvement d’opposition radicale a commencé dans le secteur étudiant, en particulier les étudiants de l’Université du Wisconsin. Ils revendiquent le droit à une éducation de qualité. Le jour de la Saint-Valentin, le 14 février, quelque 1 000 étudiants ont marché sur le Capitole, la maison gouvernementale.

Le 15 février, la tentative, impulsée entre autres par les médias, de diviser secteur public et secteur privé est mise en échec. Des militantEs des syndicats du privé et du public se sont réunies et ont appelé à une manifestation commune contre la loi que voulait imposer le gouvernement. La jonction s’est faite entre les étudiants et les salariés du secteur public ; des pompiers et des policiers se sont joints à la manifestation, mettant en échec la tactique de division de Walker.

Le mercredi 16 février, la mobilisation réunit près de 20 000 personnes, le jeudi quelque 35 000 et le vendredi 18 février plus de 50 000. Un mot d’ordre : « Kill the bill » (« Tuer le projet de loi  »).

Quatorze parlementaires démocrates se sont cachés et sont même sortis de l’État du Wisconsin, empêchant le Sénat de se tenir et de voter la loi, car le quorum n’était pas atteint. Le palais gouvernemental et ses environs étaient occupés par 50 000 manifestants le jour où Walker aurait dû faire passer sa loi.

Depuis lors, les manifestations n’ont pas cessé. Le samedi 26 février 2011, 100 000 personnes environ occupent le Capitole et ses environs à Madison. Depuis deux semaines, il est « aux mains » des salariéEs. Malgré les menaces proférées le dimanche 27 février, il le reste. Lorsque la police a menacé d’intervenir, les pompiers ont annoncé qu’ils occuperaient la nuit le bâtiment avec les étudiants, ce qui rendrait une intervention plus difficile. Le WPPA (The Wisconsin Professional Police Association) a également appelé ses membres, pour la nuit du 25 février 2011, à dormir dans le Capitole.

Un manifestant exprime bien l’esprit de cette mobilisation qui s’est élargie, alors que le gouverneur avait l’intention de faire des salariéEs du secteur public une cible facile, les décrivant comme des « privilégiéEs » : « L’important réside dans un fait que nous avons compris : une fois que des droits sont enlevés à certains, ces droits vont être enlevés à tout le monde. » C’est cette compréhension qui explique la présence dans les manifestations et l’occupation, jour et nuit, du Capitole, de travailleurs des aciéries, de camionneurs, de pilotes des compagnies aériennes, d’électriciens, etc. En outre, les enseignants, qui représentent un secteur combatif du mouvement, ont parfaitement su mettre en relief que les attaques portées contre leur statut n’étaient qu’un fragment d’une offensive plus large contre le système éducatif et donc contre l’avenir des enfants de la majorité des familles de l’État du Wisconsin.

L’occupation du Capitole a fait surgir, de plus, un débat sur la démocratie. D’une part, l’occupation a été très active : des crèches sont organisées, des conférences données, des affiches pleines d’imagination tapissent les murs. L’occupation s’est faite avec des règles concernant aussi bien l’apport de nourriture pour les occupants, les rotations, que le respect du bâtiment (nettoyage, etc.). D’autre part, les débats sur l’avenir du secteur public, sur les conditions de travail, sur les origines du déficit en ont fait un lieu où, comme le disait une enseignante : « Une autre démocratie que celle du Parlement et du Sénat a pris corps ici. »

Pression policière et politique de concessions

L’occupation est décisive dans cette phase. Face aux menaces de la police, un représentant démocrate, Brett Hulsey, a poussé les occupants à quitter le bâtiment. Il affirmait : soit vous quittez le bâtiment, soit vous serez arrêtés. Toutefois, la détermination des personnes mobilisées, des syndicalistes, des étudiants ne fut pas battue en brèche. Cela d’autant plus qu’au sein même de la direction du Parti républicain une faille est apparue. Dale Chultz, sénateur, a annoncé qu’il rompait avec Scott Walker. Cela a renforcé la mobilisation.

La « guerre de classe unilatérale » menée depuis des années change. À la « guerre de classe d’en haut » répond « une guerre de classe d’en bas ». Autrement dit, des années de politique syndicale de concessions – politique qui constitue la colonne vertébrale de l’orientation des appareils syndicaux – sont mises en question par les syndiquéEs, par les travailleurs et travailleuses, avec l’appui de la population. Les contre-manifestations organisées par la droite conservatrice, le Tea Party, n’ont pas eu un écho significatif, même si certains médias les ont gonflées.

La pression de Scott Walker et de la police s’est faite de plus en plus forte pour « dégager » le bâtiment. La police cherche à empêcher les personnes d’entrer dans le Capitole. La pression policière s’est accentuée le 1er mars, date à laquelle Scott Walker devait exposer devant les instances législatives sa politique d’austérité budgétaire. Il fallait que « le Capitole du peuple » devienne à nouveau le Capitole normal. Malgré la pression policière, quelque 500 à 600 personnes ont refusé de quitter le bâtiment. Parmi ceux qui sont restés, il faut mentionner Mahlon Mitchell, président de l’organisation des pompiers, le Wisconsin Professional Fire Fighters Association. Toutefois, dès le 27 février se révélèrent les hésitations de certains dirigeants des appareils syndicaux.

Les déclarations de dirigeants syndicaux se sont multipliées sur le thème : si notre pouvoir de négociation collective est maintenu, nous sommes prêts à faire des concessions sur les salaires. Cela révèle un processus classique: la défense de la survie de l’appareil, en termes financiers et de représentation formelle, passe avant la défense des syndiqués et de l’ensemble des travailleurs.

Ces hésitations et ces signaux de retraite sont importants. En effet, la politique d’austérité n’est pas seulement menée par les républicains. Les attaques contre les droits et les conditions des travailleurs du secteur public sont aussi l’apanage de démocrates comme Andrew Cuomo, dans l’État de New York, de Pat Quinn, dans l’Illinois, de Gerry Brown, en Californie. Certes, il y a une différence entre démocrates et républicains. Les démocrates ne veulent pas s’attaquer brutalement à l’appareil syndical car les syndicats financent les campagnes électorales démocrates et appellent à voter pour eux. Mais la tendance à mettre en question le droit syndical à la négociation collective ne se limite pas au Wisconsin. C’est déjà à l’ordre du jour dans l’État de l’Ohio et dans l’Indiana.

Un test pour tout le mouvement  syndical des États-Unis

Le 1er mars, une nouvelle manifestation a eu lieu. Le 3 mars, de même. Et une grande mobilisation était prévue pour le samedi 5mars. Plus la bataille se prolonge, plus est à l’ordre du jour la question d’une stratégie pour gagner. Scott Walker ne recule pas. Il menace de licencier 1 500 travailleurs et de rendre caducs les contrats collectifs le 13 mars.

La bataille de Madison est donc au centre d’un affrontement de classe aux États-Unis. Des voix s’élèvent pour faire des concessions afin de maintenir la fonction de partenaire des syndicats. Marty Biel, le patron de l’American Federation of State County and Municipal Employees 24, c’est-à-dire du Wisconsin, est prêt à accepter la réduction salariale. Mais Scott Walker ne se satisfait pas de cette concession. Ce qu’il veut, c’est affaiblir structurellement l’organisation syndicale. Le thème central ne porte pas sur l’augmentation de la participation des travailleurs au financement de leur assurance maladie et de leur retraite. Il porte sur le délitement de la capacité d’organisation et de résistance des salariéEs. Ce que Scott Walker a pu toucher du doigt à l’occasion de ces trois semaines de mobilisation. À l’occasion de la grande manifestation du samedi 5 mars, le débat portera entre autres sur la grève générale du secteur public au cas où Walker ferait adopter sa loi. C’est un défi très important. C’est un test pour l’ensemble du mouvement syndical américain.

Wisconsin, la lutte à la croisée des chemins

Le samedi 5 mars 2011, quelque 40 000 personnes ont participé à la mobilisation organisée contre la politique d’austérité et antisyndicale à Madison, capitale de l’État du Wisconsin. Cette manifestation n’a pas atteint le chiffre de 100 000 – comme la semaine précédente – mais elle a été organisée dans un délai de trois jours.

Un premier bilan permet d’affirmer qu’après trois semaines de lutte la volonté de faire face à la politique du gouverneur républicain Scott Walker s’exprime encore avec force. Comme au cours des semaines précédentes, le soutien du secteur privé aux salariéEs du secteur public s’est confirmé. L’appui de la population n’a pas faibli, comme celui apporté par des personnalités. Le discours du cinéaste Michael Moore a stimulé les participants. Michael Moore a déclaré : « Vous avez réveillé un géant qui dormait, les travailleurs et les travailleuses des États-Unis d’Amérique. Votre message anime maintenant les travailleurs dans 50 États. »

Malgré la mobilisation, Scott Walker n’a pas hésité à présenter son plan d’austérité le 1er mars : un budget, sur deux ans, qui implique des coupes claires dans les domaines de l’éducation et de la santé. De plus, il a répété que si les élus démocrates du Sénat – ils sont absents et ainsi ne permettent pas au Sénat de délibérer, car le quorum n’est pas atteint – font obstacle à l’adoption de la nouvelle loi, quelque 1 500 licenciements seraient prononcés. L’échéance est fixée au 13 mars, date à laquelle les contrats collectifs passés seront déclarés nuls.

La politique de Walker ne jouit pas d’un soutien populaire, malgré les campagnes des médias. Ainsi, une enquête d’un organisme conservateur (Rasmussen) indique que six citoyens sur dix de l’État du Wisconsin ne sont pas d’accord avec les choix du gouverneur et cinq sur dix y sont fortement opposés.

La preuve de cette situation politique a été fournie par l’échec de la mobilisation des pro-Walker, le 6 mars. L’appui des frères Koch (milliardaires du secteur du pétrole, entre autres) – qui financent un organisme du nom Americans for Prosperity – n’a pas permis de réunir plus de 200 personnes ! La contre-manifestation des syndicalistes, ce dimanche 6 mars, comptait plus de 1 000 personnes.

Dans ce contexte s’ouvre une phase politique de négociations. Walker a pris contact avec des élus démocrates qui sont dans l’Illinois (afin d’échapper à l’obligation de siéger au Sénat et de permettre ainsi que le quorum soit atteint). Les résultats sont, pour l’instant, nuls. Mais le dénouement va dépendre avant tout de la capacité de mobilisation syndicale et non pas des manœuvres des politiques.

Or, les enseignants ont repris le travail. Ils forment le « noyau dur » des « contestataires ». Les appareils syndicaux, eux, tendent à accepter une sorte d’échange : faire des concessions au plan salarial (paiement pour l’assurance-maladie et le fonds de pension) contre le maintien de la reconnaissance du syndicat comme partie contractuelle. Or, une fraction très importante des salariéEs mobiliséEs veulent battre la loi de Scott Walker sur les deux terrains : les droits syndicaux et la question des salaires comme des coupes budgétaires. À cela s’ajoute l’opposition très active des étudiants contre la privatisation de l’Université du Wisconsin. L’opposition à l’orientation syndicale – « faire des concessions pour éviter le pire » – est donc forte. Mais elle doit trouver une voie qui permette de mettre en échec les choix des appareils syndicaux nationaux et la politique de Walker. Une tâche difficile.

Il est d’ailleurs significatif que la mobilisation du 5 mars 2011 ne s’est pas concentrée sur le palais gouvernemental : le Capitole. Des dirigeants des appareils nationaux ont refusé une mobilisation unitaire – entre autres avec le courant qui s’oppose frontalement à la politique d’austérité – craignant qu’une mobilisation unitaire permette à ceux qui défendent l’idée d’une grève générale de prendre la parole. Ainsi, le 5 mars, il y a eu deux manifestations. Et Michael Moore n’a pas pu parler à la manifestation contrôlée par les appareils syndicaux nationaux.

Des dirigeants syndicaux et des démocrates veulent canaliser le mouvement dans une campagne de signatures qui mette en question le résultat du vote qui permit à Scott Walker de devenir gouverneur. Une tactique qui prendra des mois et qui démobilisera le mouvement des salariéEs.

À l’opposé, le secteur le plus combatif met l’accent sur l’importance d’actions sur le lieu de travail, sur l’élargissement de la mobilisation. Cela est d’autant plus réaliste que des secteurs sociaux – qualifiés de « classes moyennes » – sont aujourd’hui directement frappés et sont prêts à l’action directe. Ce qui a été démontré dans la santé et le secteur de l’éducation.

Le débat sur une grève générale dans l’enseignement a commencé le 6 mars. Le 12mars est une nouvelle échéance. David Poklinkoski, président de l’International Brotherhood of Electrical Workers (IBEW) affirmait, le 5 mars : « La droite patronale a sous-estimé la réaction des travailleurs et travailleuses du Wisconsin. Maintenant, nous devons élargir la mobilisation afin de riposter à leurs attaques. » o

Virginia de la Siega

Vers d’autres « batailles de Madison » ?

Selon certains analystes bourgeois de premier plan, la « bataille de Madison » bien qu’apparemment perdue1 par les travailleurs, pourrait être le signe annonciateur d’un mouvement beaucoup plus large de résistance face aux conséquences de la crise capitaliste. Ce qui changerait alors bien des choses, aux États-Unis et ailleurs.

Sans doute le gouverneur Scott Walker pensait-il que le combat des travailleurs du Wisconsin en défense de leurs droits syndicaux avait pris fin le 9 mars, quand il avait réussi à faire passer sa loi grâce à une manœuvre procédurale. Pour lever le blocage imposé par les quatorze sénateurs démocrates qui avaient quitté le territoire de l’État, le projet de loi budgétaire a été subrepticement scindé en deux. La partie strictement financière, dont la mise au vote nécessite la présence des deux partis, a été mise de côté, ce qui a permis aux républicains de faire approuver la loi qui interdit les négociations collectives dans le secteur public et modifie le mode de collecte des cotisations syndicales. Comme l’a signalé le maire de Madison, David Cieslewiscz : « il ne s’est jamais agi d’équilibrer le budget. Il s’agit de casser les syndicats. Avoir fait passer cette loi au milieu de la nuit, sans avertissement, est un véritable scandale. »2 S’il restait un doute quelconque quant à la nature de cette loi, il aura été levé par l’empressement avec lequel Scott Walker l’a promulguée.

Les choses pourraient cependant ne pas être aussi simples. Le 13 mars, au lendemain de l’énorme manifestation ayant accueilli les quatorze sénateurs démocrates qui, en s’exilant dans l’Illinois, avaient pour un temps bloqué l’adoption de la loi, l’économiste démocrate et prix Nobel, Paul Krugman, affirmait : « La grande question qui se pose à propos du Wisconsin est de savoir si la controverse va simplement s’éteindre ou si elle va servir de cri de ralliement sur toute une période. Si les foules d’hier nous donnent quelque indication, ce serait celle que cette affaire est loin d’être terminée. »3 Il n’est pas le seul à afficher de tels doutes. Dans son numéro du 12 mars, la revue néolibérale de référence The Economist, tout en se demandant si le gouverneur Walker n’était pas allé trop loin, considérait que « l’on assiste peut-être au début d’un retour de bâton après les attaques républicaines ». Il y a des raisons de le croire. Selon les estimations de la police, 100 000 personnes se sont rassemblées le 12 mars à Madison. Il semble évident que si les travailleurs ont encaissé un coup, ils gardent des réserves de combativité.

La solidarité de classe qui a accompagné les travailleurs du Wisconsin pendant leurs trois semaines de lutte était toujours présente dans la manifestation du 12 mars. Des syndicalistes du secteur privé défilaient aux côtés des salariés de l’État du Wisconsin. Les pompiers4, les employés des municipalités et des comtés, les infirmières, les enseignants et les travailleurs de l’université avaient été rejoints par des camionneurs, des électriciens, des employés et beaucoup d’autres salariés de Madison et d’autres villes de l’État. Plus de 50 agriculteurs, membres du Syndicat des fermiers du Wisconsin et des Défenseurs de l’agriculture familiale, entouraient le Capitole avec leurs tracteurs. L’actrice Susan Sarandon résumait l’état d’esprit de la multitude en disant : « Ceci est plus qu’une manifestation. Ceci est un mouvement […] La constitution ne garantit pas le droit des travailleurs à former des syndicats, à pouvoir travailler dans des conditions de sécurité, ou à travailler moins de douze heures par jour. Tout cela, ce sont les travailleurs qui l’ont gagné par leur lutte : en faisant grève, en défiant la loi, en défiant les tribunaux et en s’appuyant les uns sur les autres. »5

Deux politiques dans le conflit

Il est impossible de prédire les répercussions exactes de la « bataille de Madison », combien de temps la contestation perdurera et comment toute cette énergie sera canalisée. D’autant que deux politiques ont été développées dans ce conflit. D’un côté, les syndicalistes de base voulaient lutter jusqu’au bout. De l’autre, les démocrates et les dirigeants syndicaux ont tenté de convaincre les travailleurs de circonscrire la lutte à la défense des droits syndicaux collectifs et de faire toutes les concessions nécessaires sur les salaires, les retraites ou la sécurité sociale.

L’adoption de la loi a renforcé l’option consistant à canaliser le combat dans les institutions de la démocratie bourgeoise. Les démocrates et les dirigeants syndicaux ont promis d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour introduire des amendements bloquant l’application de la loi. Un recours en justice a déjà été formulé contre la façon dont la loi a été adoptée, et les démocrates ont embarqué des syndicalistes dans une campagne de signatures pour obtenir des élections révocatoires qui permettraient d’évincer le gouverneur et certains représentants (députés).

L’objectif est clairement de détourner l’énergie populaire vers une action qui prendra des mois voire des années et dont le seul résultat serait d’élire des démocrates à la place de républicains, un changement n’offrant aucune garantie que les mesures d’austérité seront abrogées et le droit à la négociation collective restauré. Ainsi que de nombreux militants l’ont déjà signalé, en Californie, à New York et dans l’Illinois, ce sont des gouverneurs et législateurs démocrates qui ont été à l’initiative des coupes claires opérées dans les salaires et les droits sociaux du secteur public. Quant au droit à la négociation collective dans le secteur public, il a commencé à être remis en cause en 2002, au point que seuls 26 États sur 50 le reconnaissent aujourd’hui6. Et Obama lui-même a déclaré vouloir un gel de trois ans pour les employés de l’État fédéral à l’exception des militaires et des personnels des agences de sécurité nationale.

Mais les salariés se mettent maintenant en mouvement. C’est en 2005 que le gouverneur républicain de l’Indiana, Mitch Daniels, avait aboli par décret le droit à la négociation collective. Or le 10 mars dernier, 10 000 travailleurs, retraités, étudiants et enseignants se sont rassemblées à Indianapolis (capitale de l’État d’Indiana) pour dire qu’ils ne voulaient pas que leur État devienne l’Arizona du Midwest. Les manifestants s’opposaient à plusieurs projets de loi. L’un d’entre eux ajouterait de nouvelles restrictions au droit de négociation collective. Un autre ouvrirait la voie au financement public des écoles privées. Le troisième déboucherait sur une législation anti-immigrés similaire à celle de l’Arizona. Le quatrième, enfin, interdirait tout financement fédéral de l’organisation Planned Parenthood7.

Cette manifestation s’est tenue le lendemain de l’adoption de la législation antisyndicale dans le Wisconsin, Il est notable qu’au lieu de démobiliser les manifestants, cet événement a paru les encourager. « Le problème est plus global que celui des différents projets de loi », a dit l’un des participants, « cela concerne la démocratie et une prise de contrôle de notre gouvernement par les grandes entreprises. »8

À en juger par les interventions relevées dans les assemblées, ainsi que par les textes de plusieurs syndicats et organisations de base, il apparaît évident que, même s’il y a eu une défaite, les travailleurs ont tiré des leçons profitables de la bataille de Madison. Comme l’affirme le blog de National Nurses United (association nationale des infirmières) : « Il y a deux grands enseignements à tirer des héroïques protestations conduites par les travailleurs dans le Wisconsin. Premièrement, les travailleurs – avec nos nombreux alliés, les étudiants, les retraités, les organisations de femmes, et bien d’autres – sont enthousiastes et disposés à lutter. Deuxièmement […] les travailleurs n’ont pas créé la récession ou la crise budgétaire à laquelle les gouvernements fédéral, des États et locaux sont confrontés, et il n’y a plus de concessions qui vaillent. »9

La nécessité d’une nouvelle direction

Mais un secteur du mouvement pourrait également tirer une troisième conclusion. Pendant plusieurs semaines, le mot d’ordre de « grève générale » a été dans tous les esprits. La South Central Federation of Labour, une organisation qui regroupe 97 syndicats du secteur public dans le Wisconsin, avait voté le principe d’une grève générale si la législation antisyndicale était adoptée et promulguée. Son secrétaire général avait cependant déclaré que ses dirigeants n’en étudiaient pas sérieusement la possibilité…

Il est clair que le mouvement qui s’est déroulé dans le Wisconsin n’a pas été capable de faire émerger une direction ouvrière indépendante. C’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, il a été si facile aux démocrates et aux dirigeants syndicaux de faire dévier la combativité des travailleurs vers la perspective d’élections révocatoires.

Les travailleurs du Wisconsin ont accompli quelque chose d’extraordinaire. Ils ont remis la lutte de classe à l’ordre du jour au cœur même du système capitaliste mondial. Vu l’ampleur de la crise économique globale, les travailleurs américains ne vont pas cesser de subir de nouveaux assauts de la bourgeoisie visant à leur faire payer sa propre crise. La question est de savoir – comme se le demandent aussi bien Krugman que The Economist – si après cette défaite les travailleurs vont se replier et abandonner la lutte, ou bien si le combat va se poursuivre dans d’autres États.

Les événements dans le Wisconsin et l’Indiana pourraient bien signifier que les travailleurs américains n’ont fait qu’exercer leurs muscles, avant de prendre toute leur place dans la lutte pour refuser de payer la facture de la crise capitaliste. Si tel était le cas, ce serait une excellente nouvelle. O

1. Les résultats définitifs sont encore indécis même du point de vue de la législation imposée par les nouvelles autorités républicaines. En témoigne le fait que, le 17 mars, une juge de Madison a suspendu l’application des dispositions antisyndicales.

2. http://www.progressive.o…

3. New York Times, 13/03/2011.

4. Les pompiers sont une des catégories du secteur public à n’avoir pas perdu ses droits à la négociation collective.

5. Socialist Worker, 14 mars 2011 (http://www.socialistwork…).

6. http://www.channel3000.c…

7. Planned Parenthood, l’un des principaux regroupements de planification familiale aux États-Unis, joue notamment un rôle important dans la défense du droit à l’avortement. Un tiers de son financement provient du gouvernement fédéral.

8. Socialist Worker, 14 mars 2011.

  1. http://www.nationalnurse…

Le mouvement vu de l’intérieur, entretien avec Paul Buhle

Professeur émérite de l’Université de Brown, membre de la nouvelle gauche (SDS, Students for a Democratic Society) dans les années 1960 et 1970, spécialiste de l’histoire du marxisme américain, Paul Buhle travaille actuellement à l’édition de divers épisodes de l’histoire sociale américaine en version bande dessinée. Il vit dans le Wisconsin et a été partie prenante du mouvement de mobilisation contre le gouverneur républicain de l’État, Scott Walker.

Comment le mouvement du Wisconsin s’est-il développé ?

La soudaineté de ce mouvement social a pris tout le monde par surprise. À la mi-février, alors que le Sénat de l’État se préparait à voter le projet de loi « de réparation budgétaire » proposée par le gouverneur, loi mettant fin aux dispositifs de négociation collective existant depuis 1959 (lorsque le Wisconsin est devenu le premier État à passer ce type d’accords avec les syndicats du secteur public), les quatorze sénateurs démocrates sont partis au-delà des frontières de l’État. Le 17 février, des lycéens de Stockton, une petite ville proche de Madison, faisant partie historiquement de la communauté norvégienne-américaine (avec son propre accent « régional »), se sont mobilisés en soutien à leurs professeurs. Le lendemain, les enseignants du comté et au-delà ont « pris des vacances », les écoles ont été fermées et des manifestations de masse ont commencé autour du Capitole de l’État.

Est-ce que des éléments de tradition historique contribuent à expliquer ce mouvement ?

Un journaliste local, John Nicols, a remarqué avec justesse que les manifestations et les activités qui leur sont associées (telles qu’on peut les voir facilement sur youtube ou sur le site firedoglake) sont profondément enracinées dans les traditions du Wisconsin. Robert M. La Follette, qui a été gouverneur, sénateur et candidat à la présidence à plusieurs reprises au début du xxe siècle, reste la figure politique la plus célèbre du Wisconsin. Il avait pris la tête de « l’Idée du Wisconsin », un programme de gouvernement défendant des services publics efficaces et humains, opposé à la guerre et au contrôle de la vie économique et sociale par les banquiers et les plus riches. La Follette a été candidat à la présidence en 1924 sur le ticket du Parti progressiste, et ce parti est resté très important au niveau de l’État jusqu’en 1940.

Au cours des 70 dernières années, particulièrement les 30 dernières, et malgré le développement ambigu, au niveau national, de certains « droits » aux allocations sociales, beaucoup des conquêtes des progressistes ont été annulées. Lorsque la foule amassée autour du Capitole scande « Nous sommes le Wisconsin » ou bien « À qui est cette Maison ? Elle est à nous ! », c’est une façon d’insister sur nos droits et notre héritage historique en tant que citoyens du Wisconsin.

Comment les réseaux de soutien à la mobilisation se sont-ils organisés ? Et comment a-t-on fait pour rechercher la solidarité au-delà des frontières de l’État ?

C’est l’un des aspects les plus remarquables de cette lutte. En partie, cela s’explique par des conditions spécifiques à Madison : siège à la fois de la plus grande université de l’État (qui, jusqu’à il y a peu, était dotée d’un financement public faisant que les étudiants du Wisconsin pouvaient y accéder assez facilement) et du Parlement de l’État ; ville marquée par une sous-culture radicale notoire, avec de nombreuses coopératives, des comités de soutien aux mouvements de libération dans le monde, une ambiance tolérante et bohème avec des bars et restaurants qui sympathisent avec les causes de gauche.

Même la police, mais plus encore les pompiers, ont été connus comme partageant cette ambiance de tolérance, une fierté de la diversité, une envie de soutenir les revendications des enseignants, des travailleurs sociaux et d’autres qui, souvent, sont leurs femmes, maris, voisins ou parents.

Des syndicalistes de nombreux secteurs, souvent loin de Madison, et qui sont eux-mêmes confrontés à des situations difficiles, ont répondu avec enthousiasme. Des syndicats ont fait venir leurs membres, par-delà les kilomètres, par centaines et parfois par milliers, afin de manifester leur solidarité. Il n’a fallu que peu de travail d’« organisation », plutôt une assistance logistique pour les voyages et les séjours.

Des personnalités de premier plan comme Michael Moore ont fait l’effort de venir et ont été naturellement bienvenues. Dennis Kucinich [élu de l’Ohio,dirigeant de la gauche du Parti démocrate] doit prendre la parole ici prochainement.

Au-delà du sentiment immédiat de solidarité, il y a des intérêts communs ?

Les nouveaux gouverneurs républicains de plusieurs États ont pour projet commun de se débarrasser des syndicats du secteur public. Les résistances dans un État, quel qu’il soit, encourage les résistances dans d’autres États.

Mais le plus remarquable, ce sont les connexions globales, soit à travers des contacts réels, soit par la valeur de l’exemple. Les manifestations du Caire ont sans aucun doute inspiré les gens ici. Beaucoup de signes ont illustré ce lien, en général de façon humoristique ; on pouvait par exemple lire des inscriptions disant, à la manière du football, « Égypte 1, Wisconsin 0 ». L’université du Wisconsin est connue pour son accueil de nombreux étudiants étrangers, dont la plupart retournent dans leur pays une fois leur diplôme obtenu. Il n’a donc pas été si surprenant de voir des banderoles de solidarité jusque dans les manifestations du Caire.

On sait bien que la crise de l’État, provoquée par la mauvaise gestion de l’économie, et la volonté des puissants de réduire la dette en frappant les syndicats et les pauvres, sont universelles. Non seulement les gens éduqués mais les plombiers ou les peintres sont ici conscients de ce lien.

Les États-Unis ont souvent été vus comme une société d’où la gauche est absente, et il y a des zones du pays (principalement dans le Sud) où les conservateurs ont presque toujours réussi à marginaliser les mouvements progressistes. Mais Milwaukee, la plus grande ville du Wisconsin, a eu des maires socialistes pendant cinquante ans et l’on sait bien que ce sont des gens de gauche qui ont créé les syndicats de l’industrie, organisé le soutien aux mouvements des droits civiques (notamment ceux des Latinos, des Indiens Américains, etc.) ou construit le mouvement contre la guerre du Vietnam. À Madison, il y a des milliers de gens qui se disent « socialistes » sans appartenir à aucune organisation ou soutenir aucun programme particulier. C’est inhabituel aux États-Unis, mais l’état d’esprit qui prévaut parmi les enseignants et les travailleurs sociaux qui sont syndiqués rentre tout à fait dans le cadre de l’idée socialisante (telle qu’elle existe dans d’autres pays) selon laquelle la première chose à faire pour changer la société est de protéger l’État social.

Le sentiment omniprésent de solidarité est sans aucun doute l’élément le plus important ici, et la clé de la continuité avec les mouvements syndicaux et des droits civiques des générations socialisantes qui ont précédé. Le Parti démocrate agit parce qu’on agit sur lui ; et cependant, certains de ses acteurs agissent par eux-mêmes, parfois courageusement. Dans quelle direction et jusqu’où il ira reste à voir. Nous ne savons pas. La déception envers le président Obama et le sentiment qu’il faut faire autre chose sont très vifs chez des démocrates comme chez les gens de gauche.

Propos recueillis par Ambre Ivol.

Quelques réflexions sur Madison et le Wisconsin

Mon auteur politique favori, C. L. R. James (1901-1989), le dernier grand panafricaniste mais aussi un historien des sports, un romancier et un marxiste créatif, avait l’habitude de dire aux marxistes et aux radicaux des années 1960 et 1970 qu’ils devraient arrêter un peu d’utiliser leur langue (ou leur stylo) pour regarder le mouvement social se développant autour d’eux. Qu’est-ce que les gens du peuple font, disent, crient, pensent, qu’y a-t-il d’écrit sur les pancartes qu’ils portent, qu’avons-nous à apprendre d’eux ? Le savoir que nous, radicaux, devons acquérir, ne peut résulter que d’une réorganisation de nos propres visions tactiques et stratégiques.

C’était un avertissement utile, et c’est en l’ayant à l’esprit que je voudrais proposer quelques observations à propos des manifestations qui se déroulent autour de moi depuis près de quatre semaines. Observateurs de l’extérieur (ceci est le mouvement le plus documenté de l’histoire, ou peu s’en faut) comme militants et camarades de lutte, s’il vous plaît, réfléchissons à ce qui est nouveau.

Premièrement, la Wisconsin-nité. C’est maintenant devenu assez connu, mais il ne faut pas non plus en exagérer l’importance. Que signifie le fait que nous scandions de façon si obsédante « Nous sommes le Wisconsin » ou bien, en pressant la police de nous laisser entrer dans le Capitole, « À qui est cette Maison, elle est à nous » ? C’est-à-dire la maison de Robert LaFollette, notre héro progressiste, anti-Wall Street, anti-impérialiste et notablement non-membre du Parti démocrate ?

Mais on scandait aussi « Nous sommes les rebelles kurdes » ou encore « Les buveurs de bière pour la démocratie » (je signe avec enthousiasme). Et ainsi de suite, dans la nuit, le lendemain et le jour d’après, avec les costumes les plus plaisants (vaches, sorcières), toutes sortes de musiques (de la polka aux sons cajuns sans oublier les trombones, trompettes, accordéons et exercices de batterie sur une variété d’objets), de chansons folk ou drôles, et tant de bonne humeur que les mots ne peuvent pas rendre compte des rires et du plaisir que nous, les 10 000 à 100 000, avions à être ensemble.

Deuxièmement, la solidarité de nombreux secteurs de la police et des services des shérifs des comtés, les « Flics pour le travail » ayant été parmi les plus applaudis avec les pompiers – des gens en uniforme à nos côtés et nous encourageant à aller de l’avant.

Troisièmement, l’enthousiasme, apparemment ou principalement spontané, qui s’est étendu dans des États proches ou lointains, principalement parmi des syndicalistes (de façon parfois disproportionnée, venant de Chicago) mais aussi des étudiants, les premiers venant se joindre à nous, les seconds allant manifester là où ils sont.

Quatrièmement, le Tweet des masses, la communication instantanée qui s’est développée pendant tout le processus, reliant entre eux des milliers de manifestants actifs, les encourageant à mettre en place de nouvelles actions et de nouvelles tactiques.

Et enfin, à ce jour, l’énorme ambivalence des démocrates. Il faudrait se rappeler, d’une part, que lors de la session parlementaire de décembre, des dirigeants démocrates se sont opposés avec succès à l’extension des contrats des salariés de l’État, afin de ne pas « lier les mains » du nouveau gouverneur, d’autre part, qu’en janvier de nombreux démocrates ont approuvé de façon enthousiaste les baisses d’impôts des grandes entreprises voulues par le nouveau gouverneur, juste avant qu’il ne dépose sa bombe. Et pourtant les quatorze ont bravement franchi les frontières de l’État et ainsi donné le signal de départ de près de quatre semaines de manifestations. Des milliers, des dizaines de milliers de démocrates locaux sont avec nous. Certains d’entre eux sont des responsables locaux et des parlementaires de l’État. Dans quelle mesure sont-ils vraiment avec nous, et peuvent-ils s’écarter ? Ces questions sont en train d’être testées dans la pratique.

Conclusion (j’offre ici mes propres spéculations) : la mobilisation au niveau de l’État inclut à la fois les activités pour des élections révocatoires et les mobilisations combatives à chaque apparition publique de Walker, à la fois une action de type électoral et des appels syndicaux à des grèves et peut-être à une grève générale (ou ce slogan est-il une provocation délibérée ?) Il ne sert à rien de dire qu’une tactique serait bonne et l’autre mauvaise. Toutes seront mises à l’essai. Nous sommes maintenant un mouvement trop grand pour les démocrates, même si nous nous opposons aux républicains. Nous créerons notre propre voie et nos propres méthodes, tout comme nous avons créé nos propres symboles.

Paul Buhle