Publié le Lundi 6 mars 2017 à 10h34.

19 mars : « N’attendre les choses que de nous, nous organiser »

Entretien. Amal Bentounsi est la sœur de Amine, 20 ans, tué par la police d’une balle dans le dos il y a cinq ans. Du 6 au 10 mars se tiendra le procès en appel du policier qui a été acquitté il y a un an. Elle a créé l’association « Urgence Notre Police Assassine » et fait partie des familles initiatrices de l’appel à la Marche nationale du 19 mars « pour la dignité et la justice, contre le racisme, les violences policières, la hogra et la chasse aux migrantEs ». 

Est-ce que tu t’attendais au mouvement actuel de révolte suite au viol de Théo ?

Oui. Ça fait longtemps qu’on dénonce ce qui se passe. Avec les autres familles on avait créé des liens avec les jeunes dans les quartiers, on avait aussi développé des liens avec des groupes autour du cas de Rémi Fraisse, avec l’Assemblée des blessés. On a aussi réussi à peser avec les réseaux sociaux. Là c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Les jeunes se sont identifiés à Théo. Il y avait un ras-le-bol des contrôles au faciès, de la violence de la police, de la stigmatisation...

Est-ce que tu penses qu’il y a un lien avec le mouvement du printemps dernier ?

Oui. Avec le mouvement contre la loi travail, il y a des militants et des lycéens qui ont subi la violence policière, regarde le lycéen de Bergson. Il y a eu une prise de conscience de gens qui ne se sentaient pas concernés. Et cela a fait que les jeunes des quartiers qui banalisent ce qu’ils subissent se rendent compte que d’autres gens sont solidaires. Alors les langues se délient.

Quel est le message le plus important sur Théo ?

Il faut surtout ne pas faire de ces violences des exceptions. C’est la vision des médias et des syndicats policiers. Une semaine avant Théo, un de ses amis, Mohammed, avait aussi subi des violences. Nous, on l’avait posté sur notre page facebook. Cette violence, elle est récurrente dans les quartiers. Pour les militants, c’est à l’occasion des manifestations. Mais en fait cette violence est structurelle. Adama Traoré était le huitième mort de l’année 2016. Il ne faut pas attendre que ce soit médiatisé pour dénoncer.

Qu’attends-tu du procès en appel du policier qui a tué ton frère ?

Ce que l’on veut, c’est d’abord rétablir la vérité. Amine a été présenté comme un braqueur, ce qui était faux au moment des faits. Chaque fois, il y a criminalisation de la victime, comme ils le font en ce moment avec la famille de Théo, afin de légitimer la violence de la police. Dans le cas d’Amine, il avait un passé judiciaire, mais cela ne change rien, c’est lui la victime, c’est lui qui a été tué d’une balle dans le dos.

Mais quand on parle de braqueur, ça ne suscite pas la même émotion. Même moi, sa sœur, au début, j’ai pensé « il a joué, il a perdu »... Nous on a fait un travail d’investigation que devraient faire les journalistes qui ne font que reproduire le communiqué de la préfecture disant « un braqueur multirécidiviste a été tué »...

Et puis on veut obtenir justice. Il y a les témoignages accablants qu’on a accumulé, puis un policier est venu à la barre pour avouer qu’il avait menti afin de protéger son collègue. Mais il a été acquitté ! Tant qu’il n’y aura pas d’exemple concret d’un flic condamné, ils continueront. Théo et Adama en sont la conséquence.

Y-a-t--il des initiatives autour du procès ?

Attend, avant, il y a aussi la nouvelle loi votée le 15 février qui légalise le permis de tuer, alors que l’on a déjà du mal à obtenir justice. Il n’y a eu que deux condamnations en 40 ans de policiers en service ! Ils sont un peu plus facilement condamnés si ils ne sont pas en service. Avec cette loi, si Théo avait résisté dans la voiture, ils auraient pu tirer. Il faut empêcher que cette loi soit promulguée. Il faut continuer à faire signer la pétition #nonaupermisdetuer. Ce gouvernement socialiste qui va partir s’est empressé de faire voter cette loi. Les familles et les quartiers s’en souviendront...

Pour le procès, on a besoin d’être nombreux, plus nombreux que les policiers qui viendront soutenir leur collègue.

Pourquoi avez-vous lancé l’appel à la marche du 19 mars ?

Parce que la question des violences policières doit être centrale dans la période des élections. Pour alerter sur cette violence institutionnelle et structurelle. Pour dire que ça doit changer. Il est important de nous faire entendre à ce moment-là.

Et quel est le sens du lien que vous faites entre les violences policières, le racisme, la chasse aux migrantEs ? À la marche, il y aura des cortèges de sans-papiers, des travailleurs des foyers actuellement en lutte, des chibanis…

Il s’agit d’une violence d’État. On a tous affaire à la police. Il est donc important de relier ces luttes de celles et ceux qui subissent le racisme et cette violence au quotidien.

Un meeting de mobilisation prévu dans la région lyonnaise a d’abord été déplacé suite à des pressions de la mairie de Vaulx-en-Velin, puis annulé au dernier moment par la salle suite à des menaces de groupes fascistes. Cela t’évoque quoi ?

Cela montre à quel point nous en sommes. Le racisme est de plus en plus pesant, la parole libérée. C’est de plus en plus dangereux. Il y a 5 ans j’avais parlé d’un processus d’extermination à petit feu et on me disait que j’exagérais. Bientôt certains devront porter le croissant comme il y a eu l’étoile jaune dans le passé.

Il y a le terrorisme et l’état d’urgence. On utilise ça pour dire que tous les musulmans, les Arabes et les Noirs, sont des terroristes. Le racisme est en train de se propager dans toute la société. 70 % des policiers en activité votent FN. Ça sera la guerre civile bientôt. Ce gouvernement n’a rien fait pour éviter cette situation. On pourra dire qu’ils ont du sang sur les mains.

Attends-tu quelque chose de l’élection présidentielle ?

J’attends que le peuple se réveille, que les gens des quartiers se réveillent, qu’on s’organise à notre tour. On s’intéresse à nous juste avant les élections mais on n’est plus dupes. On nous l’a déjà fait à l’envers. Il faut que les convergences s’organisent avec ceux qui le veulent. Il ne s’agit pas que des quartiers populaires mais de tous ceux qui luttent pour leurs droits, pour vivre dans de bonnes conditions, contre le réchauffement climatique, etc. Parce que nos droits se perdent, et d’abord le droit de contester. C’est l’ensemble de la société qui est touchée, l’état d’urgence concerne tout le monde.

Ce qui nous ramène à la marche du 19 mars ?

Oui, c’est ça l’alternative aux élections. Il faut penser autrement que ce qu’on nous propose. Parce que ça ne nous convient pas, ça ne marche pas. C’est juste pour que les riches aient plus de privilèges, pour ceux qui pillent l’argent public, pendant que le racisme, la stigmatisation, le chômage, continuent. Il faut une convergence. Penser le monde autrement. Personnellement je n’irai pas voter. Il ne faut attendre les choses que de nous, nous organiser.

Propos recueillis par Denis Godard