Publié le Dimanche 17 décembre 2023 à 15h00.

« Il faut rejeter la loi Asile et immigration : elle n’est pas amendable »

Entretien. En réponse à la loi Asile et immigration en discussion à l’Assemblée nationale, Anzoumane Sissoko, militant historique de la coordination des sans-papiers 75 (CSP75), s’exprime sur les luttes actuelles.

Quand est née la Coordination des sans-papiers (CSP) 75 ?

Après la mobilisation de Saint-Bernard en 1996, on a créé la coordination 75 des sans-papiers. Les grandes actions que nous avons menées, c’est notamment la Marche Paris-Nice, le Forum social mondial de Dakar, la Marche européenne, sans oublier les 28 mois d’occupation de la Bourse du travail et de l’ancienne CPAM de la rue Baudelique. Les grandes actions paient toujours car elles donnent de la visibilité à la lutte et une notoriété au mouvement. 

À la CSP75 on fonctionne comme une démocratie de terrain, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de chefs, et que ceux qui sont là sont ceux qui décident. La longévité de la lutte n’est pas mise en péril par les régularisations et les départs des responsables. Mais ça marche aussi parce qu’on est autonome. On n’est pas lié à des structures particulières, association ou autre. 

Comment marche la CSP 75 ?

Je pense que l’idéologie de la lutte des sans-papiers est basée sur l’autonomie. L’autonomie qu’on a mise en place depuis 22 ans a permis de continuer la lutte malgré les hauts et les bas et les renouvellements. Mais il y a un noyau d’anciens qui sont restés pour faire le lien avec les nouveaux. Les plus actifs sont autour de 4 ou 5 personnes jusqu’à une vingtaine.

Le collectif du 19e arrondissement compte 4 à 5 000 inscritEs, pareil dans le 11e et le 18e. Sur l’ensemble, il faut compter 1000 personnes actives à la CSP75, qui communiquent et se relaient les informations quotidiennes sur les réseaux. On se rassemble toutes les semaines sur la place de la République dans le 11e. Dans les moments difficiles, on n’était pas plus d’une cinquantaine. Au plus fort de la lutte en 2008 et 2010, les mercredis et vendredis, on était au moins 3 000.

Aujourd’hui quels sont vos objectifs ?

Pour moi, la lutte d’aujourd’hui s’articule sur les JO et le Grand Paris. C’est une réponse à la loi Asile et immigration. Il faut rejeter cette loi : elle n’est pas amendable. Les JO et le Grand Paris c’est tout de suite, c’est dans six mois. C’est maintenant qu’il faut se battre pour que les gens soient régularisés. Raison pour laquelle la CSP75 a soutenu les grévistes de l’Arena : une soixantaine de personnes qui travaillent pour trois sous-­traitants de Bouygues. L’Arena est un chantier qui doit être livré rapidement. Il y a d’autres chantiers près de la porte de La Chapelle qui concernent les JO et le Grand Paris où on réfléchit à la manière d’y mener des actions. Et toutes ces actions sont aussi en réponse à la loi Asile et immigration.

Pourquoi faut-il rejeter la loi Darmanin ?

Aujourd’hui, on soumet la régularisation à des tests de connaissance de langue française et il faut obtenir le niveau A2, qui est l’équivalent du brevet, pire même car l’examen est en ligne et il faut maîtriser l’outil informatique. L’enjeu de l’intégration, ce n’est pas l’enjeu de la langue. L’intégration, c’est quand la personne n’a pas de problèmes avec les autorités du pays et qu’elle travaille. On risque de ne pas être renouvelé si le métier n’est plus en tension. La préfecture peut décider de ne pas accorder le titre de séjour et les personnes se retrouvent à nouveau sans papiers. Même quand elles sont régularisées depuis vingt ou trente ans. C’est une loi qui plonge les personnes dans une précarité constante. Alors que la circulaire Valls permet de régulariser les gens qui travaillent dans les métiers en tension, mais tu es libre d’exercer un autre métier au bout de deux ans de renouvellement du titre de séjour. 

Sans parler des autres lois qu’ils veulent créer pour les jeunes de 16 à 18 ans, qui ont fait de la prison pendant six mois ou plus. Ils veulent refuser la nationalité aux jeunes nés ici, qui ont grandi ici. Mais comme aucun pays au monde ne voudra les accepter, on va créer encore un autre modèle de sans-papiers qui ne seront ni régularisables ni expulsables. 

La loi va diviser les Français, parce que ces personnes qui sont nées en France, même si elles sont de parents étrangers, sont nées ici. Ils et elles ont des frères et des sœurs françaisEs et, quel que soit le délit, ils et elles doivent rester en France. Je n’ai jamais vu ça depuis 1974, j’attends de voir comment ça va évoluer à l’Assemblée, mais le mal est déjà fait. Avec le NPA et tous ceux qui sont à la Bourse1, on doit s’organiser et dénoncer cette politique.

Il y a le projet de loi mais aussi toute la propagande anti-­migrantEs déversée à cette occasion, qu’en penses-tu ?

Si on prend le cas des allocations familiales : je suis arrivé en France il y a trente ans, depuis cette période-là on ne peut pas toucher les allocations sans être en situation régulière. Mais ce n’est pas ça qu’on entend à la télé, qui donne l’impression qu’en arrivant en France on obtient tout. Ce qui est totalement faux ! Pour toucher les allocations sociales, le RSA ou l’allocation adulte handicapé, il faut déjà être en situation régulière depuis cinq ans, ce qui n’est possible qu’après cinq renouvellements d’un an. Et il faut avoir obtenu sa carte de résident pour les cinq ans à venir. La carte de résident ne peut être demandée qu’au bout de trois renouvellements et elle est acceptée sous condition d’avoir un emploi, de gagner au minimum le SMIC et d’habiter chez soi et pas chez un tiers.

Il n’y a que le chômage qu’un migrant primorégularisé peut toucher. Mais un sans-papier qui travaille ne peut pas toucher le chômage, ce n’est pas possible. Pôle emploi demande la carte d’identité pour ouvrir des droits. Donc même si tu travailles depuis dix ans, tu n’as le droit à rien. 

Et tout le monde parle de l’AME (Aide médicale d’État) aujourd’hui. La plupart des gens dont on parle sont des gens qui cotisent à la Sécurité sociale car ils et elles travaillent. Quand tu travailles, évidemment que tu cotises à la Sécurité sociale, mais tu te soignes avec l’AME car tu n’as pas de carte de Sécurité sociale. Tout ça, c’est un faux débat, une étude a été menée en 2021 : sur 600 000 personnes qui ont l’AME, ils comptaient 38 fraudes, soit 0,006 %. 

En conclusion, c’est une loi vraiment raciste. C’est une loi anti-NoirEs. C’est une loi anti-Arabes. Donc il faut que ce soit clair. Aujourd’hui beaucoup d’UkrainienEs qui sont en France, ce n’est pas un problème. Mais s’il y a quatre NoirEs ou quatre Arabes seulement, c’est la subversion, c’est l’immigration non ­contrôlée, c’est un appel d’air !

Propos recueillis par la Commission nationale immigration et antiracisme

  • 1. L’assemblée générale de la Marche des solidarités se réunit tous les lundis à 19 h à la Bourse du Travail de Paris.