L’intervention d’Houria Bouteldja à Oslo le 3 mars dernier a fait l’objet d’une tribune publiée sur le site du NPA par un camarade. Cependant, cette intervention, peut donner lieu à une autre lecture que celle qui en a été faite.
En guise de préambule un tantinet provocateur et pour questionner d’entrée de jeu le point de vue exprimé, pourquoi ne demanderait on pas à des organisations de prendre position quand à la lutte contre l’antisémitisme ?
Nous interpellons nous même régulièrement un grand nombre d’organisations politiques sur leurs rapports à l’indépendance vis à vis du gouvernement, sur leur position concernant le capitalisme et la lutte des classes et j’en passe, sans en éprouver un quelconque remord.
Mais le fond de la question n’est pas là.
Lorsqu’on lit l’intervention d’Houria Bouteldja, il s’en détache quelques lignes majeures :
Il y a des racismes vrais avec des vrais opprimés. Il faut lutter contre ces racismes. En revanche, l’antisémitisme qui est apparu depuis quelque temps au sein de certaines populations discriminées et défavorisées (et qui de mon point de vue malheureusement s’insinue sournoisement dans certaines mouvances de la gauche radicale), différent de celui qui est l’apanage des adeptes de l’extrême droite, ne serait en fait, d’après Houria Bouteldja, qu’une réaction légitime provoquée par un traitement de faveur de la part de l’Etat à l’égard de gens qui utilisent la destruction systématique et organisée de millions d’entre eux, pour le seul motif d’être juif, pour se faire plaindre et protéger.
Ce faisant, ces gens rendraient un fier service à l’Etat, lequel mettrait en avant cet antisémitisme comme raison pour accroître sa répression et son oppression contre cette jeunesse radicalisée et révoltée des quartiers.
Les juifs seraient donc des « idiots utiles », des supplétifs, des troupes étrangères, utilisés par l’Etat contre des populations issues de l’immigration et supposées dangereuses. C’est la deuxième idée qui ressort de cette intervention. Cela ressemble a une partie de billard à trois bandes, il faut bien suivre la boule.
Enfin, troisième et dernière idée forte, la gauche radicale qui va du PG au NPA et peut être même aux organisations libertaires en passant par toute l’extrême gauche trotskiste, marxiste et léniniste, n’est pas porteuse d’un antiracisme véritable, ne soutient pas réellement les opprimés issus de l’immigration et résidant dans les quartiers défavorisés car cette gauche est trop imprégnée et respectueuse de la mémoire de la Shoah, et donc philosémite. Là, le raisonnement est plus direct!
Les propos contenus dans cette intervention peuvent murmurer à l’oreille de ces opprimés qu’ils ne pourront pas compter sur cette gauche radicale pour les soutenir dans leurs luttes, luttes qu’elle trahira de toutes façons pour ne pas remettre en cause un « Pouvoir Blanc ».
Propos qu’Houria Bouteldja confirme dans un paragraphe d’une interview qu’elle a donnée à la revue Vacarme pour son numéro de printemps :
"Il y a des priorités. Nous devons d'abord exister pour nous-mêmes et construire notre propre espace. Notre choix premier est de toujours parler aux indigènes, de ne pas perdre le fil avec nous-mêmes - en particulier quand nos alliés nous somment de condamner Dieudonné... Ce sont des positions très dures à tenir quand on pense aux deux pôles entre lesquels nous sommes pris : d'un côté les indigènes sociaux qui sont très sensibles, par exemple, aux questions relatives à Dieudonné, que certains voient comme un héros, un résistant; de l'autre, nous avons construit un système d'alliance avec certains milieux de gauche pour qui Dieudonné est un fasciste. Quand nous devons sacrifier l'un de ces pôles, c'est celui des blancs que nous sacrifions."
Le discours du 3 mars, prononcé à Oslo ressemble de très près à un discours fortement teinté de communautarisme. Il n’a d’autre effet que de monter des populations ou des individus victimes d’actes et de propos racistes provenant d’individus, de groupes, organisés ou non, et de l’Etat, les uns contre les autres.
Ce n’est pas notre façon d’envisager ni la lutte antiraciste, ni la lutte contre les oppressions de toutes sortes, ni la lutte contre le capital. En tous cas ce n’est pas la mienne et pour ma part je n’y trouve nul point d’appui pour aller plus loin dans une pseudo politisation. Pour moi, ce type de discours va trop loin dans la stigmatisation des juifs comme objet de haine de l’autre.
Que dire du tract du P.I.R. distribué le 21 mars dernier ? Sinon que c’est un concentré de tout cela, la déclaration récente du Mrap à ce sujet est très claire et suffisante.
En guise de conclusion, il me semble que ni l’intervention d’ Houria Bouteldja, ni la tribune parue récemment sur le site du Npa ne politisent l’antiracisme, ils le découpent en segments communautarisés et hiérarchisés et finalement, le « racialisent ». Pour toutes ces raisons, les positions du P.I.R. et les discours de ses représentants ne sont pas défendables ou amendables.
Quoi qu’il en soit, il ne nous est pas possible de co-signer des appels, ni de co-organiser des initiatives avec ce mouvement, ni enfin de partager des tribunes avec leurs porte paroles sans y perdre nos convictions et renoncer à nos façons d’analyser cette société et les luttes à mener.
Fred Albi