Publié le Samedi 9 novembre 2024 à 17h00.

Ainsi l’animal et nous, de Kaoutar Harchi

Actes Sud, 2024, 320 pages, 22,50 euros.

Il y a les livres qui vous marquent. Puis, il y a les livres dont vous comprenez qu’ils marqueront l’histoire, la grande ou bien celle de petits milieux militants ou votre vie, peu importe ! Ainsi l’animal et nous fait partie de ces livres profondément marquants, qui vous arrêtent à chaque page, qui vous donnent envie de citer encore et encore certaines des phrases déjà prêtes à devenir des piliers de votre pensée philosophique et politique.

L’animalisation, un fait politique

Avec ce livre, Kaoutar Harchi parle de nous et d’eux, des animaux, des gens, de tous les gens, et surtout de de la manière dont ces gens ont été, au fil de l’histoire, animalisés. Une animalisation rabaissante, qui a permis et permet toujours de justifier de la plus banalisée des discriminations aux pires crimes imaginables. Mais surtout, une animalisation qui animalise les animaux, nous sépare d’eux, nous éloigne de ce que nous sommes autant de ce qu’ils sont.

À la fois récit biographique, essai politique et historique mobilisant les travaux sociologiques de la chercheuse, le livre s’attarde étape par étape à décrire le spécisme sans jamais le mentionner, car il n’y a pas besoin de le nommer tant il nous saute à la gorge. Des fondations du capitalisme en Angleterre, en passant par les mouvements féministes anarchistes français et anglais, avant de revenir sur le nazisme, l’antisémitisme, la colonisation en Algérie et l’islamophobie moderne — tout y passe. 

Accaparement des terres et frontières symboliques

Rien n’est laissé pour compte, et le livre nous rappelle notre histoire : celle de l’accaparement des terres pour parquer des milliers d’animaux qui fut la première étape d’un capitalisme bientôt inarrêtable ; celle des femmes qui se tenaient aux côtés des animaux et les considéraient comme frères et sœurs de luttes ; l’animalisation des corps arabes d’abord chassés mais que l’on cherche désormais à domestiquer ; celle des juifs que l’on extermine.

On apprend ainsi que la frontière séparant « eux » de « nous » est malléable, mouvante au gré du temps et des dominants, écartant parfois aussi, par erreur sans doute, les pauvres, parfois les femmes, parfois les personnes racisées, et tous les autres, tous ces gens. Mais en fait, ce « parfois » ressemble à un triste « toujours » — comme eux, certains « nous » sont écartés de cette douce humanité, cette bonne humanité. Et alors, iels se retrouvent en dehors, avec « eux » qui y sont aussi, toujours. Ainsi, le livre nous pose cette question au creux de ses phrases si marquantes : y a-t-il réellement un « eux » et un « nous » ?

Camille Vanbauce