Éditions Steinkis, 110 pages, 18 euros.
Après un concert avec le groupe Trust au plus fort de la lutte, après un film présenté à Cannes, voici donc une BD, un roman graphique, pour raconter l’histoire d’une usine, celle de GM&S à La Souterraine dans la Creuse. Ça fait partie des bénéfices collatéraux d’une longue mobilisation.
L’auteur Benjamin Carle, qui est aussi le narrateur de l’histoire, avait entendu parler de la lutte des salariéEs contre les licenciements et la fermeture de leur usine. Il avait été touché par cette colère, cette dignité, ce refus de se plier à une quelconque fatalité. En effet, une lutte n’est jamais simple.
Usine en lutte
Mais pour défendre une usine survivante en plein territoire rural, au moment où l’industrie automobile liquide et licencie un peu partout, chez les équipementiers comme chez les constructeurs, il est plus facile de subir que de penser qu’on peut empêcher la catastrophe sociale et humaine. Surtout que ces dernières années, l’usine vit une longue période de sursis avec des ventes, reprises, des restructurations, des plans de réductions d’effectifs et de licenciements… L’usine, présente sur ce site depuis 1963, a changé de nom neuf fois entre 1991 et 2017.
Les salariéEs seront ballottés, pris dans les logiques capitalistes, de rentabilité et de productivité, dans une course à l’accaparement des profits entre les donneurs d’ordre (les constructeurs auto) et toute la sous-traitance. Ballottés aussi par la complicité de l’État et des pouvoirs publics, qui interviennent pour « sauver » l’usine » en subventionnant systématiquement les repreneurs, plus ou moins magouilleurs, qui viennent plutôt faire des affaires que reprendre une activité industrielle.
Mais les ouvriers ne se laissent pas faire, ils se battent, dénoncent, se mobilisent, multiplient les actions, se font entendre, trouvent de la solidarité autour d’eux. Cette résistance est à comparer à celles des Conti, Goodyear, Molex, New Fabris, Ford, et tant d’autres. Même si elle n’inverse pas le long processus de liquidation, elle permet parfois de repousser de plusieurs années les mauvais plans patronaux. Toutefois, ces luttes ne se résument pas à leur issue.
Résistance collective
Pour GM&S (désormais GMD), il ne reste aujourd’hui que quelques dizaines de salariéEs, quasiment plus aucune activité et la perspective d’une fermeture prochaine. Mais la bataille continue, sur le plan judiciaire, contre le plan de licenciements, contre la précarité et le chômage pour celles et ceux qui perdent ainsi leur emploi, contre la disparition des emplois induits et les conséquences dramatiques sur les services publics, sur le petit commerce, sur la vie des gens dans le département. La bataille prend aussi une forme politique, avec un projet de loi travaillé et rédigé, pour renforcer les droits pour les salariéEs contre le pouvoir de nuisance des capitalistes, une loi pour protéger les autres, celles et ceux qui subissent et subiront d’autres plans de licenciements.
Cette BD parle de tout ça en montrant les visages, les acteurEs de la lutte, les anciens comme les nouveaux. Une façon de montrer que la lutte paye toujours, parce que la résistance collective crée des liens humains de solidarité, elle apporte des bons et des grands moments, elle met en évidence la rapacité patronale, les capitulations des pouvoirs publics, les dégâts sociaux, elle permet de poser les problèmes politiques pour nos luttes et nos perspectives.
Cette BD est une façon originale de se plonger dans cette histoire et cette réflexion.