Publié le Mercredi 10 mai 2017 à 10h48.

BD : Le coup de Prague

Scénario de Jean-Luc Fromental et dessin de Miles Hyman. Aire libre, 2017, 18 euros. 

Coup de maître pour ce Coup de Prague dont l’action se déroule essentiellement dans une Vienne enneigée encore à moitié détruite et occupée par les Américains, les Anglais, les Russes et les Français...

Une ville livrée à tous les trafics pour survivre. Graham Greene, le génial écrivain mythomane, y situe le scénario d’un film en construction, Le troisième homme. Pour mieux nourrir son scénario, Graham Greene demanda à se rendre à Vienne en février 1948. Son producteur, Alex Korda, lui obtint tous les laissez-­passer pour se rendre dans l’ensemble des zones de Vienne.

Cette BD commence donc par l’arrivée de Greene à Vienne, où il est accueilli par Elizabeth Montagu, une assistante de Korda, qui va être la narratrice de ces quelques semaines d’un récit crépusculaire, où mensonges et trahisons deviendront le menu quotidien du séjour. Graham a travaillé pour le MI6 pendant la guerre sous les ordres de Kim Philby, tandis qu’Elizabeth était un agent de l’OSS (Office of Strategic Services) américain. Graham est déjà un grand écrivain tandis qu’Elizabeth, ancienne actrice de théâtre, est devenue scénariste. Graham est-il vraiment à Vienne pour le cinéma, et Elizabeth a-t-elle vraiment rompu avec l’OSS ? Les agents russes qui pullulent à Vienne en doutent et interviennent à plusieurs reprises tandis que rentre en scène l’ancien patron espion d’Elizabeth. Vienne, nid d’espions et d’agents doubles.

Pendant ce temps, à Prague, les Russes éliminent les unes après les autres les fractions démocratiques de la résistance et prépare le « Coup de Prague »... On meurt également beaucoup à Vienne : la ville de Freud et de Mozart est bercée par les coups de feu qui annoncent une guerre pas si « froide ». 

Zones grises...

Pressée par la CIA, Elizabeth tente de percer les vraies intentions de Greene qui joue parfaitement son rôle d’écrivain-scénariste. Mise à l’écart d’une rencontre de Greene avec un personnage trouble suspecté d’être à la fois lié au NKVD et aux filières d’évasion des anciens nazis, elle fracture le coffre de Greene et découvre le dossier « HARPO », Harold Adrien Russel Philby... Dès lors, tout va s’accélérer. Greene se rend à Prague en plein « coup », toujours accompagné d’Elizabeth.

La scène finale éclaire d’une lumière fulgurante le choix du Troisième Homme comme titre du film. Une scène d’anthologie où la poudre parle une dernière fois tandis que Greene déclare à Elizabeth : « Trahison, loyauté, quel est le sens de ces mots dans un monde bâti sur le pillage, les meurtres, le génocide, les chambres à gaz, l’éradication nucléaire de villes entières »...

Jean-Luc Fromental a su éclairer les zones grises, les chausse-trappes et les fausses pistes semées par Graham Greene pour trouver une explication au voyage bien réel de Greene à Prague. Philby pourra continuer à diriger les services secrets britanniques pendant quelques années encore... avant de passer à l’Est. 

Le récit est servi par le dessin au fusain de Miles Hyman. Son dessin est précis, les couleurs tirent vers un sépia à même de nous plonger dans cette vraie-fausse histoire à la vérité immuable. Les nuances de noirs du dessin renvoient au film en noir et blanc qui obtint la palme d’or à Cannes en 1949 avec Orson Welles comme acteur principal.

Une nouvelle grande BD pour une collection Aire libre aux multiples tiroirs, et un pur bonheur d’histoire.

Sylvain Chardon