De Pierre-Henry Gomont D’après Antonio Tabucchi, éditions Sarbacane, 24 euros.
Lisbonne juillet 1938, dictature de Salazar. Le « Doutor » Pereira dirige la page culture du quotidien conservateur, catholique et très respectueux du régime, le Lisboa. Pereira est obèse, amateur d’omelettes, veuf inconsolé. Il poursuit depuis des années un dialogue avec sa femme qui lui répond, habillée en mariée, depuis son cadre en bois, et subit sa concierge, indic du régime !
Nous assistons à la prise de conscience d’un homme confronté à la dictature. Surgit dans la vie de Pereira, Francesco Monteiro Rossi – FMR – qu’il engage pour écrire des nécrologies d’écrivains catholiques, Bernanos ou Claudel. FMR fournit à la place de brillants et sulfureux textes sur les ennemis du régime, comme Lorca ou Maïakovski. Pereira découvre la liberté de penser, et plus encore quand il rencontre Marta, la compagne de FMR, activiste révolutionnaire qui « ne fait pas de politique, (elle) fait l’histoire » ! Il se trouve entraîné dans la résistance au régime, à court d’arguments pour résister à l’évidence une fois la carapace du silence brisée.
Pierre-Henry Gomont a adapté le roman d’Antonio Tabucchi paru en 19941 en respectant l’engagement et la poésie nostalgique. Les couleurs rouge et sépia donnent l’atmosphère et la date, les bleus et les verts la lumière du jour et de la nuit au Portugal. Les monologues intérieurs de Pereira en proie à ses interrogations sont subtilement mis en évidence. Immense auteur italien mort en 2012, Antonio Tabucchi était un amoureux du Portugal où il vivait. Il a traduit toute l’œuvre de Pessoa en Italien. Il était aussi un symbole de l’opposition de gauche à Berlusconi, et une personnalité de la gauche alternative au Portugal. L’intégralité de son travail– romans, poésie, nouvelles, policiers... – mérite notre attention.
Catherine Segala
- 1. Folio Gallimard, 2010, 7,10 euros.