Publié le Samedi 23 mai 2015 à 07h35.

Cinéma : Howard Zinn, une histoire populaire américaine

De Olivier Azam et Daniel Mermet. Olivier Azam et Daniel Mermet s’emparent du célèbre ouvrage Une histoire populaire des États-Unis pour en faire une trilogie documentaire. Au casting, Noam Chomsky, Chris Hedges, et de grandes révoltes à sauver de l’oubli, grâce à un prolétaire devenu historien, Howard Zinn.

Enfant d’un prolétariat new-yorkais cosmopolite et longtemps rebelle, Howard Zinn accède à l’université en tant que vétéran de guerre. Son engagement au côté des opprimés et des travailleurs, et contre la guerre, est à la source de son livre le plus célèbre, véritable best-seller aux États-Unis depuis les années 1980 (vendu à deux millions d’exemplaires...). Un exploit, pour ce livre dénonçant obstinément la version des faits des puissants, c’est-à-dire « la mémoire des États ».Mermet et Azam retracent cette « contre-histoire » entre la guerre d’indépendance des États-Unis et la Première Guerre mondiale, en passant par la montée des conflits ouvriers. Les images d’archive sauvent de l’oubli les visages des révoltéEs de Haymarket à Chicago (aux origines du 1er Mai) ; des mineurs, hommes, femmes et enfants massacrés à Ludlow en 1914 ; ou des ouvrières du textile de Lawrence, dont la chanson donne son titre à ce premier volet. Bread and Roses est d’ailleurs le thème récurrent d’une bande son où foisonnent les chants de lutte.Antidote à l’histoire racontée par les « chasseurs », le film salue la mémoire des « lapins », franchissant plusieurs fois l’Atlantique pour ce faire : grèves dans l’industrie lainière de Mazamet et de Graulhet, hécatombes de la Somme, bombardement de Royan au napalm, un épisode méconnu mais fondateur pour le jeune soldat Zinn.

Champs de batailleFidèle au livre, le film nous tiraille entre bouffées d’enthousiasme et d’effroi. D’un côté, la parabole des « lapins » et des « chasseurs » ­implique une difficulté majeure : la lutte semble aller de soi, mais la défaite aussi, pour ces lapins tant massacrés. Aucun doute, il faut se défendre – mais comment l’emporter ? De l’autre, elle illustre une tendance à surestimer la conscience de classe, qui n’est pourtant pas « naturelle ».Au début du film, une lectrice de Zinn cite le premier chapitre du livre, qui contient une clé possible : les connaissances historiques et les consciences humaines sont des champs de bataille, où s’affrontent et s’influencent mutuellement « la mémoire des États » et les « points de vue » de différentes populations opprimées et exploitées, d’un « peuple » dont l’unité n’est ni ­évidente ni immédiate.Ce premier volet à l’écran a plus de mal que le livre à différencier ces lignes de front tracées au fil des luttes. Or ces multiples fronts sont autant de matérialisations du pouvoir de la bourgeoisie. La domination idéologique, thème récurrent du film, semble alors se réduire aux formes les plus crues de propagande ou de censure d’État. La pratique du film dépassera-t-elle sa théorie, en tentant de faire vivre « notre » histoire contre « la leur » ?Depuis le bouclage du film, l’emprise des « chasseurs » est peut-être devenue plus difficile à conjurer. La défense de la patrie et de la république passe pour celle de la liberté aux yeux d’un trop grand nombre de nous autres « lapins ». Voilà une raison de plus d’attendre la suite du film avec impatience.

Mathieu Bonzom