Publié le Samedi 9 mai 2020 à 08h12.

« Crise » de réaction capitaliste, « crise » d’une réponse néolibérale à la crise des années 1970

Je choisis de mettre l’accent sur quelques éléments développés par Michel Husson dans sa préface1, qui discute de temporalités dans le fonctionnement du système capitaliste, « ces trois rythmes fondamentaux sont la valorisation, l’accumulation et la réalisation de la valeur », des formes phénoménales de la plus-value et des moments de l’imaginaire social, de catégories abstraites et d’analyse des crises, du fétichisme...

Tout en explicitant les notions utilisées, il propose une approche en termes de discordance. Tous ces points seront particulièrement développés par Stavros Tombazos. J’en cite quelques-uns : le redressement du taux de profit mais pas du taux d’accumulation, la baisse des salaires et l’augmentation de la consommation en pourcentage de la richesse créée, le refus d’une interprétation mono-causale de la crise, le rôle des instruments financiers dans la crise financière, l’énorme accumulation de droits de tirage sur la richesse future, les tares du système euro, la raréfaction des lieux d’investissements rentables…

Michel Husson souligne aussi le ralentissement des gains de productivité : « Voilà pourquoi la reproduction néolibérale du capital survit de manière précaire, c’est-à-dire avec l’appui de politiques monétaires qui créent de nouvelles “bulles” si bien que “nous vivons dans l’impasse d’un schéma de reproduction, dans lequel prévaut le capital-argent, dont l’existence n’est possible que par des régressions économiques et sociales périodiques” ».

Une remarque. Il est tout à fait possible de suivre les principales analyses de l’auteur, sans connaissances approfondies en matière de critique d’économie politique, de concepts « marxistes ». L’auteur explique les termes utilisés, précise les passages de l’abstrait au concret, illustre les études par des petits graphes synthétiques qui font bien ressortir les tendances à l’œuvre.

Les temps du capital, faut-il le rappeler, sont des temps sociaux, les contradictions à l’œuvre sont toujours historiquement situées, les réponses à une crise participent à la production de la suivante…

Dans son avant-propos à l’édition française, Stavros Tombazos explique le choix d’un petit volume. « L’objectif était de présenter, de manière aussi méthodique que possible, l’ordre des notions et des données empiriques qui me semblent nécessaires à l’interprétation de la crise actuelle ; une crise économique bien sûr, mais aussi une crise de reproduction sociale et d’hégémonie politique, une crise écologique et civilisationnelle ». L’auteur précise son rapport à Karl Marx, à la critique de l’économie politique, au décryptage de la « marchandise » et un « univers social avec sa rationalité bien spécifique, ses fétiches, ses croyances métaphysiques, rêves et cauchemars, fantasme et spectres ». Et aussi sa conception de la « neutralité » : « La “neutralité scientifique” relève de la naïveté dans le meilleur des cas, du mensonge ou de l’hypocrisie dans le pire »…

« Le capitalisme n’existe jamais de manière générale et abstraite, mais toujours de manière particulière et concrète, c’est-à-dire de manière historique ». L’auteur précise que les « lois générales et diachroniques du capitalisme se manifestent toujours dans un contexte de règles et de pratiques qui sont historiquement volatiles, permettant ainsi la périodisation de l’ère capitaliste » et discute du « néolibéralisme » comme « mode de régulation » et des explications sur les fondements des crises.

Stavros Tombazos aborde la problématique des « ondes longues », les crises périodiques et les explications fournies par Karl Marx, la place de la « loi de la baisse tendancielle du taux de profit ». Il souligne un fait peu étudié, « le taux de profit diverge de plus en plus du taux d’accumulation du capital » et donc la hausse du ratio plus-value/investissement. L’auteur discute, entre autres, du schéma néolibéral de reproduction du capital et en fait ressortir les tendances et les contradictions, de l’articulation des rythmes économiques, de la transformation d’« une partie de la plus-value non investie en capital fixe » en « crédit accordé aux ménages ouvriers qui ont emprunté pour consommer, augmentant ainsi leur taux d’endettement », de l’accumulation insoutenable de dettes privés, des produits dérivés et de la transformation du risque individuel en risque social, du rythme extrêmement lent de l’augmentation de la productivité du travail, du « dividende » comme « subdivision du profit industriel ou de la plus-value totale ». Il rappelle que « le capital-argent, en tant qu’entité apparemment autonome, ne produit pas de valeur ».

Il examine l’« autonomisation » de certains actifs de leur valeur réelle, leur « valeur toxique » – l’expérimentation monétaire actuelle et sans précédent dans l’histoire économique : « Depuis le début des années 1980, les politiques néolibérales transformant l’ancien mode de régulation keynésien ont également transformé les caractéristiques des crises : la crise des années 1970 était due à la baisse du taux de profit. La crise actuelle est due au ralentissement structurel du rythme de réalisation de la valeur par rapport au rythme de valorisation de la valeur. La crise actuelle, dans laquelle le risque de déflation est toujours présent, est la crise de la réponse néolibérale à la crise des années 1970, dans laquelle le risque d’inflation a prévalu ».

En conclusion, l’auteur souligne, entre autres, la discipline imposée par le capital-argent, les nouvelles exigences concernant la rentabilité du capital industriel (« la logique à court terme du capital-argent s’impose à la logique à long terme du capital productif »), le rôle du capital fictif, le maintien artificiel de la reproduction néolibérale « mais sans assurer des taux d’accumulation du capital industriel ou de croissance du PIB satisfaisants et avec des effets pervers qui pourraient bientôt prendre la forme de nouvelles crises majeures du capital financier », la préservation du système assurée par la régression sociale…

Le capitalisme ne peut garantir la satisfaction des besoins sociaux. « Ces besoins sociaux, dans le monde développé, nécessitent une nouvelle répartition du temps de travail social en faveur des services dans les domaines de l’éducation, de la culture, de la santé, de la gestion créative des loisirs, de la gestion écologique globale, etc. »

• Cet article a paru dans le n° 672/673 de mars-avril de la revue Inprecor, disponible par abonnement. Si cette revue vous intéresse, n’hésitez pas à vous abonner en contactant la rédaction <inprecor@wanadoo.fr> ou en écrivant à PECI-INPRECOR, 27 RUE TAINE, 75012 PARIS, FRANCE. Le prix de l'abonnement annuel est de 55,00 € pour l'Europe et l'Afrique du Nord, de 71,00 € pour le reste du monde.

  • 1. * Stavros Tombazos : Crise mondiale et reproduction du capital, éditions Syllepse et page2, Paris et Lausanne 2020, 10,00 euros.