De Daniel de Roulet. Éditions Buchet Chastel, 144 pages, 14 euros.
Il fut un temps où la Suisse était un pays pauvre que ses habitantEs quittaient pour émigrer en masse aux quatre coins du monde. Il fut aussi un temps où la Suisse était, notamment avec les ouvrierEs de l’horlogerie, une des avant-gardes d’un mouvement ouvrier en construction, et notamment de l’anarchisme. À Saint-Imier, petite ville de la partie francophone du canton de Berne, se sont réunies, en 1872, les sections de la Ire Internationale qui refusaient les décisions du congrès de La Haye excluant Bakounine.
« Ni dieu, ni chef, ni mari »
Daniel de Roulet, écrivain suisse, a passé son enfance à Saint-Imier. Il imagine l’histoire de « dix petites anarchistes » (c’est ainsi qu’on les appelle) qui quittent Saint-Imier en 1873 pour tenter de vivre selon leurs principes, tant en matière d’organisation sociale que de rapports avec les hommes : « Ni dieu, ni chef, ni mari ». Elles iront vers l’Amérique latine : la Patagonie, le sud du Chili, l’île Juan Fernandez (celle de Robinson Crusoé) et enfin Buenos Aires. En chemin, de Roulet leur fait croiser divers personnages historiques : Louise Michel et les déportéEs de la Commune, l’anarchiste italien Malatesta et enfin le colonel Falcon, chef des forces répressives argentines.
Au fur et à mesure du temps et des épreuves, leurs conceptions se transforment : elles passent de la recherche d’une communauté idéale aux luttes ouvrières et à la construction de syndicats, sans exclure les attentats pour riposter aux violences des dominants. On sent poindre aussi, dans les réflexions de la seule survivante du groupe (qui est supposée en rédiger l’histoire) un pessimisme sur les perspectives finales et la réalisation des idéaux anarchistes : « Ce qui compte, ce n’est pas de réaliser l’utopie de l’anarchie, c’est d’être anarchistes ».
Henri Wilno