De quoi parle-t-on quand on parle d’un autre monde ? De ce qu’il pourrait être (au risque d’être taxés d’utopistes) ou de comment on pourrait y arriver (au risque de l’opportunisme) ? Dans son dernier livre, Emmanuel Barot aborde le communisme sous cet angle, cette tension entre « le mouvement réel qui abolit l’état actuel et le but final », « l’association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Cela l’amène à revenir sur les différents registres du discours de Marx, analytique et critique (sur l’histoire, sur le capitalisme et ses contradictions, sur les autres tendances critiques), prospective et stratégique (et notamment la question de la transition). Mais la vigueur et – il faut le dire – la témérité de ce court bouquin viennent de deux aspetcs. Le premier est l’idée récurrente que toute réalité est vraiment contradictoire (je souligne). Le capitalisme est à la fois la condition du communisme et son principal obstacle. On ne peut séparer l’un de l’autre. Et cela est un véritable guide stratégique. C’est par exemple pour cela que la révolution ne peut se faire par étapes mais qu’il y a nécessité d’une transition. Le second est le retour sur la question de l’État, de la violence et de la dictature du prolétariat. Là aussi il est question de contradiction pour un auteur, par ailleurs plutôt libertaire, car toute volonté d’émancipation « semble devoir passer par ce qu’elle souhaite abolir : des moyens violents de résistance et de combat, même s’ils sont pensés comme purement transitoires ». Bref un livre clairement d’actualité en une période de printemps arabe et ibère, une période où « improbable et impossible ne sont synonymes que pour ceux qui ont déjà choisi ».
Denis Godard
La maison brûle, 144 pages, 13 euros