Penser la question féministe dans sa globalité, c’est-à-dire dans une perspective émancipatrice dans une relation dialectique avec les autres oppressions du système capitaliste, est un exercice absolument nécessaire et d’actualité. En effet, d’un côté, le féminisme semble aujourd’hui ne plus pouvoir prendre une place dans le débat médiatique et politique institutionnel que lorsqu’il sert de faire-valoir aux idéologies racistes et réactionnaires. Et de l’autre, il est bien trop souvent associé à une lutte parallèle « qu’on cite volontiers entre l’antilibéralisme et la défense de l’environnement ». Face à ce constat, on pourra se pencher sur cet ouvrage pour donner un espace de développement théorique à une véritable convergence des luttes.
Ce livre est un recueil de 13 textes d’une dizaine d’auteurEs (Bhattacharya, Federici, Renault, Brenner et Merteuil pour ne citer qu’eux/elles) qui ont en commun d’explorer la question de la transcendance du féminisme à travers le rapport à l’État, à la sexualité, au genre, au travail, au colonialisme, au corps social ou à la reproduction de la force de travail.
Composé de quatre parties (respectivement Généalogie d’un système ; Sur la reproduction ; Politique des corps, de la marchandise à la résistance ; Production de la sexualité, subversion du sujet), on y trouvera par exemple un excellent texte autour de la figure de Kollontai sur les débats sur le corps (social et physique) des femmes dans l’URSS post révolutionnaire, et qui permettent entre autres d’appréhender les différentes tendances au sein des soviets sur la question syndicale. Citons également le texte de Leacock, le Genre dans les sociétés primitives, qui propose une excellente analyse anthropologique de la prétendue universalité historique du patriarcat, plus convaincante que la théorie d’Engels du communisme primitif, ou celui de Floyd sur la question des mères porteuses et la marchandisation des tissus organiques, question trop peu abordée au sein du mouvement social.
Et parce que chaque théorie de l’émancipation n’est que parole si elle ne propose pas de perspectives de luttes, le livre se termine par un texte inédit d’Angela Davis invitant à la mobilisation générale contre les violences sexuelles, trouvant en son sein l’ensemble des rapports de dominations capitalistes permettant la reproduction du système.
Stephen Bouvier
Pour un féminisme de la totalité, Ouvrage collectif Co-édition Période et Amsterdam, 2017, 20 euros