Musée Dapper, 35, rue Paul-Valéry, 75116 Paris. Jusqu’au 14 juillet.
La nouvelle exposition du musée Dapper permet de voir à la fois le meilleur des arts traditionnels d’Afrique noire, spécialité de ce lieu, et les créations les plus étonnamment inventives et critiques des jeunes designers africains d’aujourd’hui.Curieuse institution que ce musée privé situé dans les beaux quartiers de Paris mais attirant des visiteurs de tout à fait ailleurs, parce qu’ils savent y trouver une attention exceptionnelle aux expressions les plus remarquables de l’Afrique ancienne et actuelle, sans parler de ses rencontres et projections en accès libre. On lui opposerait facilement le seul musée français un peu comparable, celui du quai Branly, créé deux décennies après lui (sur fonds d’État, pour être confié à des gestionnaires privés) et qui, tout en s’inspirant de son prédécesseur, ne touche guère le grand public avec ses prétendues « universités populaires ». Différence d’approche dont les récentes expositions du musée Dapper ont permis de mesurer l’ampleur, notamment par leur ouverture constante sur la création contemporaine, et que confirme à nouveau « Design en Afrique. S’asseoir, se coucher et rêver » avec une grâce plaisamment mêlée d’irrévérence.Comme rien de ce qui touche les sièges, lits ou appuie-tête anciens d’Afrique n’est inconnu à ce musée qui leur a consacré diverses expositions par le passé (notamment « Supports de rêves » en 1989) et a pour emblème un splendide chevet des Bateke (frontière du Congo et de la RDC), on est à peine étonné de l’extraordinaire qualité des objets réunis (pour la plupart inconnus du public français et très scrupuleusement étudiés et restitués dans leur contexte par le catalogue). On l’est davantage par l’étendue géographique de cette sélection débordant largement les arts d’Afrique centrale et de l’Ouest, spécialités ayant valu à cette institution sa réputation mondiale. Elle permet d’admirer d’excellents exemples du génie traditionnel des formes épurées propre à l’Est africain et à la corne de l’Afrique (Soudan, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe, Afrique du Sud), longtemps négligé au profit d’autres arts d’Afrique noire aux expressions plus naturalistes ou plus exubérantes, peut-être moins déroutantes pour les Occidentaux.Pour les familiers de ces arts comme pour les autres visiteurs, les surprises les plus nettes et réjouissantes viennent des créations récentes associées à cette exposition. Dues à de jeunes plasticiens ou architectes actifs en Afrique ou expatriés, elles ne se limitent pas à réinterpréter des formes anciennes ou à mettre en œuvre les matériaux les moins nobles venus des colonisateurs (bidons, boîtes de conserve, seaux en plastique, selles de vélo…), elles s’en prennent ouvertement à cette « esthétique » formaliste, élitiste et pseudo savante des Occidentaux qui leur a fait annexer les objets traditionnels d’Afrique noire aux arts du luxe et de la décoration, ou même en intégrer les motifs dans des « designs » plus ou moins « ethniques ». Que le « design » en Afrique ne soit et n’ait jamais été une pure affaire d’esthétique et qu’il ait toujours impliqué une part d’invention, devenue largement plus libre de nos jours, c’est ce que montrent ces créations, notamment le génial « fauteuil Mobutu » du Congolais Iviart Izamba, brouette à évacuer proprement les dictateurs qu’on ne saurait voir dans aucune institution publique française, signe de plus de l’utilité du musée Dapper.
Gilles Bounoure