Au Grand Palais à Paris jusqu’au 15 janvier 2017.
Un trait magique et magnifique unifie, densifie et donne sens à l’œuvre d’Hergé. Du Lotus bleu (1934) à Tintin au Tibet (1958), Georges Rémi alias Hergé se découvrait citoyen du monde et œuvrait, en révolutionnant la BD, à défendre « les civilisations, le sens de l’amitié, de la poésie et de la nature ». Une dimension largement mise en évidence par cette exposition consacrée à Hergé, et pas seulement à Tintin.
Les premières planches de 1929 où s’étalait un anticommunisme primaire et caricatural (Tintin au pays des Soviets, dont une version colorisée sortira chez Casterman en janvier prochain) laissaient déjà entrevoir, derrière les gags commandés par un journal catholique, le formidable auteur, amateur du peintre Malevitch.
L’exposition s’attache, à travers dix grandes salles, à présenter la diversité du génie d’Hergé en réunissant toutes les facettes de l’œuvre du père de Tintin, un des plus grands artistes du 20e siècle.
Derrière la ligne clair, un crayon qui rugit
« Je dessine furieusement, rageusement, je gomme, je rature, je fulmine, je m’acharne, je jure, j’esquisse une autre attitude… Je perce le papier tout occupé que je suis à donner le maximum d’intensité à l’expression des mouvements » (Interview d’Hergé accrochée en salle 3). À la fin, le dessin entouré systématiquement par un trait noir d’épaisseur plus ou moins régulière, surgit en force, tandis que la mise en couleur est faite sans aplats, ni ombrages, ni hachures. Les décors sont quant à eux traités de façon très réaliste mais avec le souci de ne pas nuire au mouvement des cases. Ces quelques mots résument le concept de la ligne claire mis au point par Hergé qui ordonne encore aujourd’hui le monde du 9e art. Que ce soit en pour, en contre ou même en creux !
Le blanc au service de la ligne claire
L’utilisation du blanc donne force et sens au trait d’Hergé. Les blancs d’Hergé sont éclatants, les lignes qui les entourent ne les cernent jamais. Le blanc chez Hergé est énergie, force, mouvement, lumière et ouverture. Tintin au Tibet (salle 3) marquera l’apothéose de l’utilisation du blanc comme technique. Blanc des montagnes, blanc qui sépare chacune des cases, « minuscules interstices que l’on croit vides mais qui sont chargés de temps, de tensions, de bruits ou de silence, de mouvement » (Pierre Steck in l’Art d’Hergé, 2016).
Tous les arts et civilisations du monde dans l’œuvre d’Hergé
Hergé a très peu quitté la Belgique. Pour nourrir son imagination, il voyageait dans d’autres imaginaires à l’instar du Tintin des Bijoux de la Castafiore qui lit l’Île au trésor de Stevenson. La salle 8, La leçon de l’Orient, retrace le choc des cultures que fut la rencontre en 1934 de Tchang, jeune artiste chinois (peintre et sculpteur). Planches à l’encre de chine, feuillets de documentation, objets chinois, illustrations originales du Lotus bleu, la Chine irradie. La présence de la statuette chimu (civilisation pré-inca) en salle 2 qui inspira à Hergé l’Oreille cassée (1937), un autre régal pour les amateurs de Tintin. Elle préfigure le somptueux Temple du soleil (1946), lui aussi largement mis à l’honneur.
De l’art de la réclame à la peinture abstraite
L’exposition s’ouvre par la passion d’Hergé pour la peinture, la peinture abstraite en particulier qui venait compenser chez lui son travail figuratif. Hergé s’initia avec Louis Van Lint. Les toiles d’Hergé accrochées avec celles de maîtres admirés (Poliakoff, Wesselmann, Dubuffet, Alechinsky, Warhol) se révèlent très réussies. Pourtant Hergé n’en était pas satisfait et déclara « La bande dessinée est mon unique moyen d’expression… La peinture, il faudrait y consacrer sa vie et comme je n’ai qu’une vie, j’ai choisi ». Qui s’en plaindra ?
Plus alimentaire, Hergé se consacra à la « réclame » (salle 7) pendant de nombreuses années. Les affiches sorties de son atelier sont bluffantes d’inventivité, de vigueur et de simplicité chaleureuse. Si le démon BD ne l’avait habité, Hergé serait devenu un des géants des arts décoratifs.
Une exposition à ne vraiment pas manquer
Jamais, il ne fut réuni autant de pièces d’Hergé. Le choix de décliner l’aventure d’Hergé par thèmes et dans un ordre quasi inverse à la chronologie répond au besoin de la recherche esthétique sur l’œuvre. Le choix de commencer l’exposition par la peinture abstraite relève donc d’un parti-pris assumé. Pour autant, aucun aspect de la biographie du maître n’est occulté : ni sa relative compromission avec l’occupant nazi, ni son rapport au succès, ni ses relations avec ses collaborateurs. Une exposition qui fera date.
L’accueil à l’exposition par les Dupondt vous permettra quand même de vous interroger sur l’attribut pileux qui permet de distinguer Dupond de Dupont, tandis que l’immense toile réunissant en apothéose tous les personnages d’Hergé à la fin de la visite vous donnera envie de revenir.
Bonne exposition !
Sylvain Chardon