Jusqu’au 30 janvier au musée de l’Orangerie (Paris).
Cette exposition s’ancre dans l’histoire des années de la Grande Crise, de toute évidence une période d’« anxiété » marquée par la misère et le chômage, le New Deal de Roosevelt et la montée du mouvement ouvrier. Des années où l’on pressent aussi que les États-Unis seront impliqués dans une guerre. La peinture réfracte ces tensions.
Il est significatif que la toile iconique et ambiguë de Grant Wood, symbole de l’Amérique rurale (qui sert d’affiche à l’exposition) soit presque immédiatement suivie de celle d’Alice Neel représentant le militant syndical et communiste Pat Whalen. Ce portrait idéalise, paraît-il, le physique de Pat Whalen. Mais ce dernier mérite effectivement de ne pas être oublié : une rapide recherche sur internet montre qu’organisateur des travailleurs des ports de la côte Est, il fut en même temps un activiste de l’égalité entre travailleurs noirs et blancs, capable de changer l’état d’esprit d’un équipage de marins blancs en les haranguant, et de faire une descente « musclée » dans un bar pour convaincre le patron de servir les Noirs. Cette digression pour souligner que cette exposition, même si ce n’est pas son seul axe, évoque puissamment une Amérique souvent oubliée par l’histoire dominante.
Face à l’atmosphère du temps, certains peintres, d’un réalisme parfois pesant, exaltent la puissance de l’industrie américaine. D’autres peignent la ruralité ou des scènes historiques. D’autres montrent les divertissements de la vie urbaine avec notamment cette scène d’un marathon de danse. L’angoisse marque le tableau d’Edward Hopper « New York Movie », et celui, d’Helen Luneberg qui se figure enfant avec à l’arrière-plan son image à l’âge adulte (« Double portrait of the artist in time »).
Arthur Dove est l’auteur de deux des rares œuvres non figuratives de l’exposition avec, parmi elles, un hommage à Louis Armstrong.
Le fascisme italien, la guerre d’Espagne transparaissent dans plusieurs œuvres, en particulier avec le « Bombardment » de Philip Guston peint juste après Guernica. Louis Guglielmi a l’ambition de créer un art « prolétarien surréaliste » et fait apparaître le visage de Lénine dans un désert pollué.
Enfin, plusieurs œuvres décrivent la condition des Afro-américains. D’un côté ceux-ci subissent la misère économique et la terreur raciste (avec notamment le poignant « American justice » de Joe Jones), mais, d’un autre, ils développent à Harlem une riche vie culturelle. Et il existe l’espoir que, malgré le passé esclavagiste, les Afro-américains pourront apporter leur contribution à la construction des États-Unis transformés : c’est en particulier le message que porte « Aspiration » d’Aaron Douglas.
Le dépliant et les panneaux de présentation de l’exposition permettent de mieux se repérer dans le contexte des œuvres. Ces années sont également évoquées dans de brefs extraits de film de l’époque, documentaires (avec notamment celui où les pavés de bois des rues sont récupérés pour se chauffer) ou fictions (comme Ceux de la zone et Les raisins de la colère).
Et après cette exposition, si on en a le temps, ne pas manquer la collection permanente du musée et les « Nymphéas » de Monet.
Henri Wilno