MuMa – Musée d’art moderne André Malraux – au Havre. Jusqu’au 9 novembre.
Peut-être la plus belle exposition de l’été : la sublime abstraction figurative des paysages de Nicolas de Staël, quelques 130 peintures et dessins souvent inédits – dont beaucoup de marines du Nord, justement exposées face à la mer au MuMa – à l’occasion du centenaire de la naissance de l’artiste (Saint-Pétersbourg, 1914).
L’exposition porte sur les dernières années 1951-1955 de l’artiste, des années où Nicolas de Staël, en pleine gloire naissante mais farouchement indépendant, ne craignant ni l’isolement ni la critique, n’hésite pas à prendre le contre pied du « gang de l’abstraction d’avant » portée aux nues à l’époque.
D’une abstraction sensible à une figuration abstraite Le tournant a lieu en 51, après la rencontre avec René Char avec lequel il entretient une amitié et un échange artistique décisifs. Ses gravures sur bois, très pures illustrations de Poèmes, entrant en résonance avec Le Poème pulvérisé du poète, marquent la fin de l’abstraction pure : la lumière transparaît, les grands ciels s’y devinent dans le blanc du papier.S’amorce alors une évolution vers une figuration abstraite, destinée non pas à décrire mais à rendre sensible une émotion : « on ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir ».Pour Nicolas de Staël, « une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative » : équilibre vertigineux, mise en tension, quête d’une exigence absolue de « la vérité avec l’énergie disloquante de la poésie » pour reprendre l’expression de René Char. Il y a du zen dans cette façon non pas de contempler mais de vivre le paysage, d’en restituer la vibration de la lumière et l’émotion pure.
L’exigence absolue du dessin, de la couleur, de la matièreSes dessins au feutre, croquis du paysage pris sur le vif, en captent la structure capitale : l’horizon, les lignes de force, le rythme fondamental, comme Paul Cézanne avant, Richard Diebenkorn ailleurs.Rencontre de la forme et de l’informe, les masses colorées aux contours vibrationnels, en traduisent l’harmonie de couleur essentielle sans fioritures ni pittoresque, avec une justesse inouïe dans les rapports de tons. L’émotion ultime de la couleur : tant les gris bleus de la limpidité des ciels et de la douceur marine du Nord que les couleurs sourdes et la touffeur orageuse des paysages du Vaucluse ou la violence caniculaire de la Sicile.De Staël, peintre « nomade de la lumière », rend tout autant la violence de la lumière fulgurante des paysages méditerranéens que la légèreté de la lumière changeante de la Manche avec une même matière picturale épaisse, qui se fluidifie néanmoins à partir de 1954 vers plus de transparence, comme dans ses dernières marines du Havre et d’Antibes.
Un peintre nomade entre Nord et SudSi l’expo au Havre met justement l’accent sur le Nord où il aime à se ressourcer, c’est bien dans le Sud, à Ménerbes, qu’il finit par s’installer. Il y découvre ses paysages rudes, ses couleurs vives et « cette lumière vorace » que René Char appelle le « cassé-bleu » : « au bout d’un moment la mer est rouge, le ciel est jaune et les sables violets ». Entre Georges Braque le normand et Henri Matisse de la fin, qu’il admirait.Et c’est à Antibes, en 1955, qu’il se donne la mort, face à la mer, interrompant brutalement une des œuvres les plus fortes du 20e siècle.
Ugo Clerico