Publié le Samedi 11 juin 2016 à 09h38.

Exposition : « Paula Modersohn-Becker. L’intensité d’un regard »

Jusqu’au 21 août 2016 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. 

Annoncée dans l’article sur les femmes peintres (dans l’Anticapitaliste n°326), c’est une exposition découverte pour le public français : Paula Modersohn-Becker (1876-1907), une des figures majeures des avant-gardes en Allemagne.

Formée à Berlin, Paula rejoint la communauté artistique de Worpswede, proche de l’école française de Barbizon, en épouse un membre, le peintre Otto Modersohn, puis s’en sépare, se libérant à la fois de son influence artistique et affective. Femme de caractère, seule et obstinée, elle fait plusieurs voyages à Paris pour se rapprocher des artistes qu’elle admire (Rodin, Cézanne, Gauguin) et poursuivre sa passion : « Oh, peindre, peindre, peindre ! » Ainsi se forge son style singulier, expressionniste avant l’heure (le groupe Die Brücke se formera peu après sa mort), aux dessin et couleurs sans fioriture, à la fois d’une grande puissance et d’une extrême sensibilité.

Si les sujets abordés sont habituels : autoportraits, paysages, portraits d’enfants, la manière dont elle les exprime, déroutante à l’époque, est authentique et essentielle : auteure du premier autoportrait féminin nu, elle montre sans concupiscence ni voyeurisme ni effets esthétisants la nudité des corps de la femme enceinte, de la mère allaitante et son enfant. Femme peintre, elle exprime sans complaisance sa féminité, son intimité, traçant obstinément sa voie malgré le scepticisme machiste ambiant et la censure politique (sa peinture fut taxée d’Art dégénéré par les nazis).

Amie proche depuis Worpswede du poète Rainer Maria Rilke et de son épouse, la sculptrice Clara Westhoff, celui-ci lui rend un ultime hommage dans un poème, Requiem pour une amie. Ce poème fut composé après sa mort prématurée à l’âge de 31 ans des suites d’un accouchement difficile, alors qu’elle est de retour à Worpswede auprès de son mari, en femme libre, mère, artiste mature : « Quel dommage » seront ses derniers mots d’après Marie Darrieussecq qui publie sa première biographie en français, Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker1.

Ugo Clerico 

 

  • 1. P.O.L., 2016, 15 euros