Deux expositions jusqu’au 31 décembre 2016 au musée de la bande dessinée à Angoulême (16).
Les grandes salles de la Cité internationale de la bande dessinée se prêtent merveilleusement à l’exposition de l’affichage politique. En apothéose, l’affiche de Willem pour «la Fête rouge 1975 » de la LCR explose en fond de salle, ravit les nostalgiques et surprend toujours les jeunes par son inventivité.
La bande dessinée a été, tout au long de son histoire, mêlée aux luttes politiques et sociales, citée, instrumentalisée, détournée. Au début, la réaction domine... La réaction la plus hideuse s’étale de la fin du 19e siècle à 1945 sur les panneaux de la première partie de l’exposition. Pendant l’affaire Dreyfus, la droite extrême domine et l’antisémitisme le plus éculé recouvre les murs de nos villes. Les islamophobes d’aujourd’hui ont encore un peu de chemin à parcourir avant de rejoindre le niveau de haine raciste des productions de l’imprimeur Glucq. Un peu plus tard, à l’époque du cartel des gauches et du Front populaire, les dessinateurs les plus talentueux sont toujours au service de la réaction. Henri de Kérillis fonde même le Centre de propagande des Républicains nationaux, avec des auteurs comme André Galland, Sennep et même Pellos.
La gauche réagit mollement avec le Front populaire et des auteurs comme Grandjouan ou Cabrol mais, très vite, le régime de Vichy va tout écraser et recourir massivement à l’affiche et à la BD « instructive » (antisémite, antigaulliste et anticommuniste naturellement...).
La gauche bouscule tout... À partir des années 1960, la tendance s’inverse et la bande dessinée devient l’apanage du militantisme de gauche et d’extrême gauche. Partis, syndicats, associations s’en servent pour promouvoir la cause politique, sociale (la réduction du temps de travail), écologique, antimilitariste, etc. Cabu, Tardi, Reiser, Wolinski, Willem, Tignous se déchaînent et prêtent leur crayon à la CFDT, au PSU, à la LMR, au MRAP, au CAN, au GARI... et à la LCR. Grande époque ! Si le souffle est un peu retombé, c’est encore un vent de liberté qui domine.
« Suivre Charlie »... Terminer la visite par cette autre exposition ne manque pas d’intérêt. Outre le plaisir de traverser la Charente sur la passerelle Corto-Maltese, le visiteur se rassure avec l’histoire de la caricature où les libertaires ont toujours dominé. Cela débute, dès 1835, avec Charles Philippon qui nous croque un Louis Philippe en poire et déclenche les foudres de la censure. Elle sévira totalement jusqu’en 1881, puis la loi sur la liberté de la presse remettra les pendules à l’heure.
La suite ne réserve pas de grande surprise avec le Canard, Hara Kiri, Hara Kiri hebdo, Charlie Hebdo, Actuel, La grosse Bertha, le retour de Charlie, la rupture Siné puis la tragédie et le mouvement « not in my name »... Le plus intéressant est la mise en perspective des deux écoles modernes pour la caricature aujourd’hui : celle de Plantu, responsable, et celle de Siné et de Charlie qui refuse l’autocensure. L’exposition ne tranche pas, mais les visiteurs oui : vive la liberté de caricaturer !
Sylvain Chardon