Publié le Mercredi 5 mai 2021 à 12h32.

G_d’s Pee at State’s End !, de Godspeed You ! Black Emperor

1 CD chez Constellation Records, 14 $ (environ 11,50 euros).

Sans surprise, nous voilà à nouveau désarméEs devant une magie qui opère toujours et fait paradoxalement des marches funèbres une source de réconfort. Publiés à un rythme irrégulier, les disques de Godspeed You ! Black Emperor (GY !BE ) développent une formule inchangée depuis 1997 : pas de voix mais des guitares et des violons plaintifs. Pas de textes autres que des titres cryptiques à rallonge et, ça et là, des notes de pochettes nous indiquant que nous sommes bel et bien en territoire ami. Nous pouvons ainsi nous laisser bercer par l’écoute de ces longs hymnes répétitifs, épiques et incandescents, mais également enveloppants.

Galaxie foisonnante

Le collectif montréalais est depuis près de 25 ans une des figures de proue du label indépendant Constellation Records, dont il partage l’ADN anarchiste et le militantisme actif1. Il est ainsi possible (et recommandé !) de découvrir, loin des réseaux dominants et à tarif compressé, cette galaxie foisonnante d’une cinquantaine de formations évoluant entre post-rock, punk, électro et ambient plus ou moins acoustique. Aux côtés des vétérans A Silver Mt. Zion et Do Make Say Think, citons les indispensables Jerusalem in my heart, Esmerine, Colin Stetson (avec son saxo infini), Jessica Moss (et son violon caressant)2.

En mars dernier, l’annonce de la sortie imminente du nouvel album de GY !BE a pris la forme d’un manifeste : alors que tout le monde semble attendre la fin du monde, le groupe appelle à un nouveau commencement. Son programme : « Vider les prisons, prendre le pouvoir à la police pour le donner aux quartiers qu’elle terrorise, mettre fin aux guerres incessantes et à toutes formes d’impérialisme, taxer les riches jusqu’à leur appauvrissement. »

Il y a presque vingt ans, le dos de la pochette de leur album Yanqui U.X.O. tentait de lister la multitude de liens entre les quatre principales maisons de disques et l’industrie de l’armement. Rien de nouveau donc sous le soleil atomique. Accompagnant cette musique comme extirpée d’un champ de bataille, l’obsession de l’impérialisme conquérant reste l’objet d’une inlassable dénonciation.

Radicale constance

Difficile de démêler un disque studio d’un enregistrement de concert. Toujours interprété dans les conditions du direct, ce dernier l’a été avec distanciation et masques, témoignant d’une manière inattendue que l’artiste impliqué dans le monde peut choisir de vivre son art sans se soustraire aux expériences de la période, fussent-elles douloureuses.

Le format d’une vingtaine de minutes reste la norme idéale pour construire ces morceaux alternant montées abrasives et apaisements. Ainsi les deux plages principales n’hésitent pas à user des rythmes ternaires, pour des valses semblant nous inviter à la danse. Mais cette fois deux petites « respirations » de six minutes sont ici disposées en quinconce, comme des baumes venant si besoin enfoncer le clou de la consolation. Et nous faire la promesse que nous pourrons y retourner bien vite sans crainte de nous brûler à ce feu, car c’est bien celui de l’espoir, d’autant plus lumineux qu’on ne cesse de dire l’époque sombre. Nous finissons l’écoute – ainsi que ces activistes sonores l’avaient promis – étrangement réconfortéEs, devant une telle radicale constance et, il faut bien le dire, une telle générosité.

  • 1. Parmi ses membres, on en a vu par exemple participer au printemps érable ou, Juifs antisionistes, s’investir dans la campagne BDS.
  • 2. https://cstrecords.com