Traduit par Philippe Pignarre. Éditions la Découverte, 300 pages, 22 euros.
Une lecture après laquelle on ne regarde plus son ti-punch avec les mêmes yeux, pour celles et ceux qui le savourent. L’auteur, historien britannique, retrace l’histoire du sucre, produit symbole mais aussi structurant des différentes mondialisations.
Longtemps l’apanage des classes dominantes
L’histoire plusieurs fois millénaire du sucre n’a pas commencé sous les tropiques du continent américain comme on pourrait le penser d’un point de vue eurocentré, un peu ignorant… Le sucre de canne était utilisé dans la cuisine indienne il y a plus de 2000 ans alors que le miel était l’aliment exprimant la référence au goût « sucré » dans toutes autres cultures, de l’Odyssée à la Bible en passant par le Coran. Puis le sucre s’est déplacé vers l’ouest via l’expansion des conquêtes arabes, vers l’est et la Russie via les Mongols : « Le sucre a donc été l’un des bénéfices oubliés de la conquête et de la puissance impériale, confisqué et adopté par les vainqueurs, puis transporté aux quatre coins du monde où il a modifié les goûts et créé un besoin. »
Pendant des siècles, produit de luxe rare et donc cher (la canne étant cultivée parcimonieusement dans le Bassin méditerranéen et en Afrique), le sucre était l’apanage des classes dominantes qui se pâmaient devant des sculptures de sucre avant de les dévorer, ce qui leur assurait des bouches édentées particulièrement remarquables.
Symbole de l’exploitation des ressources naturelles et humaines
Mais c’est à partir du 17e siècle que les plantations coloniales des Caraïbes vont permettre la « démocratisation » de la consommation du sucre grâce à l’industrialisation de la culture de la canne et du raffinage de son jus sur la base du travail esclavagiste. L’exploitation de la canne à sucre importée sur le continent américain par les colons européens a été déterminante pour les peuples des différents continents : dévoreuse de main-d’œuvre, la canne à sucre a été un accélérateur de la déportation des AfricainEs et de leur mise en esclavage pendant plus de deux siècles. L’organisation des plantations a totalement transformé l’équilibre naturel des territoires soumis à cette culture : déforestation, pollution, transformation des paysages en sont les corolaires. Cette organisation de la production à la transformation du produit a permis l’accumulation primitive des bourgeoisies coloniales (en particulier française et anglaise), mais aussi marqué une étape dans le développement des techniques et de l’organisation industrielle du travail productif. Produit idéal d’un point de vue capitaliste, avec un minimum d’investissement pour un maximum de profits, le sucre est lié à l’exploitation du travail humain esclavagiste d’abord, puis sous la forme du travail forcé d’asiatiques contraints de migrer aux Caraïbes, en Asie du Sud-Est ou en Australie.
À partir de la fin du 19e et durant tout le 20e siècle, le sucre sous ses diverses formes est devenu un des composants indispensables de la nourriture industrielle, et les trusts du sucre ont pesé de tout leur poids sur les politiques impérialistes des États. À tel point qu’au 19e siècle le sucre caché dans la nourriture est devenu un des fléaux et une des batailles majeures de santé publique dans tous les pays de la planète. Un vrai concentré d’histoire de la catastrophe économique, écologique et sociale provoquée par l’exploitation des ressources naturelles et humaines.