Publié le Mercredi 7 juin 2017 à 18h44.

La Fabrique du musulman

De Nedjib Sidi Moussa, Libertalia, 2017, 8 euros. 

Ce petit ouvrage revient sur une des conséquences du recul social et politique de ces vingt dernières années, ce que l’auteur dénomme « la confessionnalisation et la racialisation de la question sociale ».

En effet, écrit l’auteur, on a fabriqué les musulmans, il ne s’agit plus de se battre pour les immigrés et contre le racisme, mais pour les musulmans et contre l’islamophobie. Il y a un faux choix entre « islamogauchisme » ou défense de la République. Le problème est de lutter implacablement contre le racisme, ses causes économiques qui ne divisent pas les oppriméEs mais les unissent, à l’heure où une « gauche bien spécifique participe avec les institutions étatiques et les entrepreneurs identitaires à la formation d’une communauté musulmane distincte des autres composantes de la société (…). Ce courant consolide les barrières culturelles qui sont autant d’obstacles au grand ’tous ensemble’ dans la mesure où elles enferment chacun chez soi. Cette gauche assigne à résidence identitaire les individus qui voudraient s’émanciper de toute appartenance confessionnelle ou raciale, pour vivre libérés des tutelles auxquelles leurs alliés de circonstance échappent de nos jours ».

Les « Arabes » de la Marche des beurs sont devenus les « musulmans » aujourd’hui. De par la propagande démagogique des gouvernements successifs, les dégâts causés par leur politique sociale, par la progression d’intégristes avides de « pouvoir, de Coran et d’argent », certes. Mais aussi, et c’est ce que pointe l’ouvrage, du fait que la lutte des classes est devenue pour certains à l’extrême gauche, la lutte des races, une lutte contre la laïcité et pour la religion. Des intellectuels issus de l’immigration, comme les porte-parole des Indigènes de la République, se prétendant représentants des quartiers populaires, rejettent toute idée de lutte de classes ou de lutte féministe universaliste sous prétexte qu’elles seraient « occidentales » ou « blanches ».

Pour une lutte unie et radicale

À l’opposé, et c’est le parti pris de l’auteur, l’émancipation des oppriméEs ne peut être que l’œuvre de leur lutte unie et radicale contre l’exploitation capitaliste, en toute indépendance des chapelles laïques ou confessionnelles, coloniales ou décoloniales qui ne visent pas à s’en débarrasser mais à mieux la leur faire accepter par le biais de divisions (racisme, antisémitisme…), en les enfermant dans leur communauté, avec le soutien de courants religieux qui s’en prennent aux femmes.

« Il n’y a pas lieu de hiérarchiser la lutte contre les rapports de domination – à condition de ne pas trouver là un prétexte pour évacuer la question de l’exploitation économique. Nous ne pouvons choisir entre les différentes oppressions qui apparaîtraient plus ou moins acceptables selon qu’elles sont véhiculées par l’État ou la société, le centre ou la périphérie, les dominants ou les dominés, les Occidentaux ou les Orientaux, les ’BlanchEs’ ou les ’raciséEs’. Contre le paternalisme d’une gauche qui se dit ’blanche’ et critique chez les réactionnaires chrétiens et juifs ce qu’elle tolère chez leurs homologues musulmans », comme le dit l’auteur, « la théorie révolutionnaire n’est pas à réinventer mais à redécouvrir »...

Mónica Casanova