Série espagnole en 7 épisodes de 60 à 77 minutes, disponible sur arte.tv jusqu’au 14 novembre 2025.
La Mesías (« La Messie » en espagnol) est une série troublante et profondément attachante. Au centre d’une famille dysfonctionnelle, la jeune Montserrat, deux enfants, se débat face aux difficultés de la vie, le plus souvent avec maladresse, et presque toujours en vain. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Dieu. Elle sera la messie...
Une lutte pour la liberté
De cette famille toxique, Enric et Irene (formidables Macarena García et Roger Casamajor) se sont échappés, à des moments et dans des conditions différentes, et vivent leur vie lorsqu’ils sont rattrapés par le succès viral, sidéral, d’une chanson du groupe Stella Maris, qu’ils reconnaissent comme étant constitué de leurs jeunes sœurs. Ils entrent alors dans la tourmente, chacun pour soi puis ensemble, pris en tenaille entre l’envie — la nécessité impérieuse ! — de se protéger, de se préserver de l’influence ravageuse de leur maman, et l’urgent sentiment de devoir extirper leurs sœurs de son emprise — et ils savent de quoi il s’agit.
Et dieu dans tout ça ?
Irene et Enric, après bien des hésitations, malgré le danger qu’ils savent courir de manière imminente, finissent par monter à l’assaut du système sectaire incarné par leur mère et son inquiétant compagnon. Si celui-ci paraît totalement délirant, il ne semble pas inutile de signaler son ancrage dans la société espagnole d’hier, voire d’avant-hier. En effet, le mari — le gourou — de Montserrat, et sa sœur qu’il fait venir afin d’encadrer la communauté cloitrée qu’il a fait de sa famille, appartiennent à l’Opus Dei, un organisme religieux né à Barbastro, en Aragon, pas très loin de Montserrat, et largement impliqué, en son temps, dans le soutien à la dictature franquiste (puis dans celui à Pinochet au Chili).
Leur quête ne sera pas sans conséquences sur eux, les amenant à reconsidérer la place de la spiritualité, voire d’une certaine religiosité dans leur vie. Ainsi, la désorientation d’Enric le conduit — presque naturellement, non sans une certaine ironie — à s’approcher d’un des groupes sectaires qui prospèrent sur la sierra puis à chercher plus loin l’apaisement — le salut ? Quant à Irene, de loin la plus solide, elle doit à son volontarisme de ne pas céder aux tortueuses pressions de sa mère sanctifiant les vertus de la famille unie dans la joie... Pour autant, on la sent finalement sensible à l’influence de Cécilia, sa jeune sœur, qui réclame de pouvoir préserver en elle la part authentique d’une foi libérée de l’emprise maternelle.
Une esthétique puissante !
La musique, omniprésente, qui sert de support à l’entreprise de sauvegarde du monde mise en œuvre par Montserrat, une esthétique léchée qui met en œuvre des visages à la puissance extraordinaire — dont tant d’enfants à l’expression magnifique et à la beauté singulière — et des costumes, des personnages à part entière en eux-mêmes, des décors extérieurs incarnant à la fois la force, la majesté de la nature et sa possible extension surnaturelle — Montserrat, la sierra, qui est l’écrin d’un sanctuaire catholique spectaculaire et accueille nombre de groupes d’ufologues et de sectes millénaristes, est aussi le prénom de la mère ! — concourent à faire de La Mesías une œuvre d’art totale, superbe et bouleversante.
Claude Moro