Éditions La Découverte, à paraître le 14 mars 2024, 336 pages, 22 euros.
Quelle est donc cette étrange mission écologique mondiale, lancée en 1961 : le « Projet spécial africain » ? Qui en sont les protagonistes et comment leurs interactions ont-elles amené à penser la nature en Afrique ? C’est ce que Guillaume Blanc se propose de nous faire découvrir.
Au départ, la conférence …
En 1961, alors que la décolonisation bat son plein en Afrique, se tient, à partir du 5 septembre, la conférence d’Arusha, convoquée par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Il s’agit d’examiner les moyens propres à sauvegarder la faune africaine tout en luttant contre la faim. Ils sont un peu plus d’une centaine, réunis dans cette petite ville de Tanzanie, pour lancer le « Projet Spécial Africain », avec une même ambition : « aider l’Afrique à sauver sa nature ».
C’est que, pendant la période de la colonisation, pour sauver en Afrique la nature déjà disparue en Europe, les colons prétendant protéger la nature africaine des Africains eux-mêmes, créent des parcs... en expulsant brutalement celleux qui cultivent la terre. Au lendemain des indépendances, en s’appuyant sur les institutions internationales, les dirigeants africains « protègent » à leur tour la même nature, cette nature que le monde entier veut vierge (l’Eden !), sauvage, sans humains. Cela au prix de millions de paysanNEs africainEs expulséEs et violentéEs, aujourd’hui encore. Mais comment cette continuité entre le temps des colonies et le temps des indépendances a-t-elle été possible ?
Une Histoire, quatre histoires...
Pour aborder la question, Guillaume Blanc nous livre un récit croisé, du point de vue de chacun des quatre groupes d’acteurs impliqués dans l’histoire de cette conférence — les quatre groupes qui structurent encore la société postcoloniale — dont chacun est persuadé de savoir de quoi l’Afrique devrait être le nom ! Leurs mondes se côtoient : celui « des experts-gentlemen (les anciens commanditaires de la colonisation) qui pensent l’Afrique comme le dernier refuge naturel du monde ; celui des colons d’Afrique de l’Est qui se reconvertissent en experts internationaux ; celui des dirigeants africains qui entendent contrôler leurs peuples tout en satisfaisant les exigences de leurs partenaires occidentaux ; celui, enfin, de paysans auxquels il est demandé de s’adapter ou de disparaître »1. Bien sûr, ces mondes ne sont pas à égalité, n’ont pas le même pouvoir, ne parlent pas de la même nature. De leurs rencontres, inévitables, naît la violence. « Car c’est la nature des hommes que d’échanger, pour le meilleur et pour le pire »2.
Claude Moro