Éditions Futuropolis, 288 pages, 26 euros.
Il ne s’agit pas du tout d’une BD du genre « l’économie ou le libéralisme pour les nuls ». C’est une BD mais, il faut le dire : cela reste un gros travail d’enquête, précis, retraçant sur quasiment un siècle les choix politiques et économiques qui débouchent sur la situation sociale actuelle. Un journaliste de France Inter et un dessinateur nous racontent cette histoire au fil des interviews qu’ils ont réalisées avec des économistes, des sociologues et des personnages qui ont joué un rôle dans les choix des gouvernements et pouvoirs politiques ou économiques.
Égoïsme de classe
Des années 1930, avec Roosevelt, jusqu’à Macron et la crise sanitaire, voilà donc le programme. Des dates, des faits, des dirigeants, des évènements pour expliquer comment l’ultralibéralisme l’a emporté sur d’autres conceptions de la société, comment les gouvernements, de droite comme de gauche, ont tous choisi le pouvoir de la finance, des banquiers, du profit, des dividendes, du marché, de l’égoïsme d’une classe sur tout le reste de la société.
La reconstruction de l’après-guerre, la construction de l’Union européenne (depuis les années 1940), la fin du « communisme » (chute du mur de Berlin), la crise financière (2008), la crise en Grèce (années 2010), la crise sanitaire enfin : autant de moments où le choix des politiques ultralibérales s’est fait contre l’intérêt des populations, contre le social, contre les services publics.
Le livre détaille pas mal l’arrivée de Mitterrand en 1981 et le « tournant » de l’austérité, qui en fait commence dès le premier été, où l’on voit un pouvoir « socialiste » si peu disposé à rompre avec le capitalisme car déjà si bien entouré de tous les libéraux et financiers très actifs. Les Fabius, Bérégovoy, Delors… déjà sous totale influence de leurs cliques de conseillers, d’économistes complètement gagnés aux entreprises et aux banques.
Histoire moderne de la violence du capitalisme
Très intéressant aussi le « militantisme » acharné des ultralibéraux, de ces courants de pensée capitalistes qui n’ont jamais abandonné la bataille, même dans les périodes où le rapport de forces était différent comme à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque du CNR en France, où le rôle de protecteur social de l’État semblait inévitable. Les défenseurs du marché, des « lois » et des règles de l’économie, les inventeurs du déficit à 3 % maxi, de la dette publique comme outil d’accaparement des richesses par les possédants, par les banques. Cette bataille, cette pression sur les pouvoirs politiques a toujours été menée par des fidèles serviteurs du capital, du profit et des dividendes.
Le « choix du chômage » c’est ce choix libéral de préserver à tout moment les intérêts égoïstes des banquiers et des capitalistes, un choix qui s’est traduit dans des politiques cyniques et violentes allant jusqu’à détruire sans scrupule les structures sociales et solidaires et les services publics, jusqu’à condamner les populations au chômage et à la pauvreté. Jusqu’à attaquer les retraites encore et encore, l’assurance chômage encore, les droits du travail encore.
Le livre n’est pas facile car de toute façon dès que ça touche à l’économie, c’est vite ardu, avec des chiffres, des notions complexes. Mais comme c’est une histoire qui est racontée, avec des beaux dessins, franchement c’est accessible. C’est surtout très utile pour aujourd’hui : il est très important de se pencher sur cette histoire moderne de la violence du capitalisme.