Publié le Mardi 1 juillet 2014 à 08h00.

Le mouvement ouvrier pendant la Première Guerre mondiale, Alfred Rosmer

T1 Librairie du Travail 1936 et T2 Mouton & Co 1959, réédition éditions d’Avron 1993 (disponible d’occasion).

Ce livre se trouve uniquement d’occasion. Pourtant, c’est une histoire passionnante que nous livre Alfred Rosmer, un des principaux acteurs de l’époque. Membre de la CGT, c’est un des premiers et, au début, rares résistants au déferlement de nationalisme qui a accompagné le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Rosmer nous détaille d’abord le développement d’un mouvement ouvrier international qui, à la veille de la guerre, semble être extrêmement solide. Les congrès internationaux des syndicats et des partis socialistes marquent régulièrement leur opposition à la guerre à venir, analysent avec lucidité les causes et affirment qu’en cas de guerre, ils s’y opposeront tous par la grève générale. On imagine donc le choc, pour Rosmer et d’autres, que fut la trahison de la quasi-totalité des dirigeants syndicaux et politiques en France et ailleurs, lorsqu’ils basculent dans l’union sacrée avec leur propre bourgeoisie et la défense de l’immense boucherie dont on connaît aujourd’hui toutes les horreurs. Moins connus que les centaines de milliers de morts et de blessés au front, ce sont les dégâts à l’arrière dans les usines qui tournent à plein régime pour la guerre. C’est de nouveau dans le détail que Rosmer nous raconte la baisse du pouvoir d’achat, l’aggravation des conditions de travail, l’allongement des horaires, le travail de nuit des femmes, la fatigue, les accidents, les morts, les corps abîmés, les contestataires soudain mobilisés et envoyés au front... Pendant ce temps, les patrons font revenir leurs copains, avocats et notaires, pour faire un travail d’ouvrier dont ils n’ont aucune compétence – le tout sur fond d’une augmentation scandaleuse des profits. Pour Rosmer c’est une situation qui rappelle « les conditions du début de la révolution industrielle » !

« Souvent accablés, jamais désespérés »Face à toutes ces difficultés, pendant un an, le travail patient et courageux d’une petite minorité permet de remonter la pente, d’identifier les opposants, de développer les réseaux dans les syndicats, dans les partis, de sortir des brochures, de contourner la censure…  En septembre 1915, cela débouche au niveau international sur une première rencontre à Zimmerwald en Suisse de la minorité – syndicalistes, militantEs politiques, les quelques partis socialistes (russe, italien) – opposée à la guerre. À partir de là, le mouvement s’élargit petit à petit : reprise des grèves, mutineries au front, Révolution en Russie puis en Allemagne, puis l’émergence, avec la 3e Internationale, de partis communistes de masse.Pendant le reste de sa vie, Alfred Rosmer connaîtra de nouveau des hauts et des bas (montée du stalinisme, exclusion du PCF pour « trotskisme », fascisme, Seconde Guerre mondiale, guerres coloniales…) mais jusqu’à sa mort en 1964, il restera un militant fidèle aux idéaux de sa jeunesse. Dans la préface au livre, il est dit de Rosmer et de ses camarades qu’ils ont été « souvent accablés, jamais désespérés ». « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté » disait, à sa façon, le révolutionnaire italien Antonio Gramsci. Dans la période actuelle, pleine de menaces mais aussi de promesses, nous avons besoin des deux, et pour cela, la vie et l’œuvre de Rosmer sont une énorme source d’inspiration.

Ross Harrold