Publié le Mercredi 5 avril 2023 à 11h16.

Le Suicide de l’espèce, de Jean-David Zeitoun

Éditions Denoël, 2023, 256 pages, 20 euros.

«Comment les activités humaines produisent de plus en plus de maladies », le sous-titre du livre que vient de publier Jean David Zeitoun, docteur en épidémiologie clinique, est explicite. L’ouvrage est une contribution à la compréhension rationnelle d’un paradoxe apparemment absurde. 

Les industries que l’auteur désigne comme « pathogènes » (industries fossiles, chimie, transformation alimentaire, production d’alcool et de tabac), sont à l’origine de l’explosion de maladies que la société cherche ensuite à soigner par son système de santé. L’expansion d’activités industrielles humaines (qui ne sont donc pas des fatalités) a pour conséquence la montée en puissance de pathologies chroniques (obésité, diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires...). Elles amènent aujourd’hui l’espérance de vie, et notamment de vie en bonne santé, à stagner voire à régresser, y compris dans les pays les plus économiquement développés. Elles s’accompagnent de coûts considérables pour les systèmes de santé qui peinent à y faire face. 

Trois risques d’exposition 

Rejetant à la fois les théories complotistes et le fatalisme, le livre analyse de manière précise plusieurs mécanismes de la catastrophe sanitaire en cours. Il en démontre de manière concrète la logique et en désigne les responsables : les industriels, les États et leurs politiques.

Selon une étude du GBD1, 48 % des années de vie perdues ou de maladie de la population mondiale sont dues à l’exposition à un ou plusieurs risques liés à l’activité humaine. J-D Zeitoun en étudie successivement trois facettes : « l’offre de risque », la « demande de risque » et la « défaillance politique ».

Business et rentabilité

« L’offre de risque » est la plus aisément compréhensible. Elle vient directement des entreprises. Pour certaines « le risque est leur business, et la maladie le produit de leurs produits ». Pour d’autres « le risque est le produit collatéral de la rentabilité […] parce qu’il est moins cher de produire salement que proprement ».

La première catégorie est illustrée par l’industrie alimentaire et ses produits ultratransformés, qui subissent traitements ou ajout de substances sans aucune valeur nutritive mais dangereuses pour la santé. La seconde est abordée à travers l’exemple de la pollution industrielle et de ses effets, celle-ci étant le premier risque mondial après l’hypertension artérielle.

J-D Zeitoun s’attache ensuite à montrer comment cette « offre de risque » rencontre une « demande » plus complexe à analyser : comment comprendre que l’on « demande » des produits dont les effets sont négatifs sur la santé, voire mortels ? Rejetant une analyse moralisante, culpabilisante ou stigmatisante, le livre s’efforce de comprendre la rationalité de cette demande, « par erreur », « par inattention », « par dépendance » ou « par désespoir »

Une question politique

La dernière partie de l’analyse porte sur la défaillance du pouvoir politique, que J-D Zeitoun attribue à trois types « d’erreurs ». La première est celle de la croissance à tout prix. Pour l’auteur, « il n’existe pas de preuve théorique ou factuelle que la croissance telle qu’elle est définie soit compatible avec la conservation de la planète et de l’espèce ». La deuxième est à relier à un « dérapage du libéralisme », « laissant croire aux individus qu’ils avaient dans leurs mains les clés de leur santé, alors que les causes de leurs maladies les dépassent ». La troisième proviendrait « de la sous-estimation des dommages épidémiologiques et économiques ».

Sous le titre « Sauver l’espèce », l’auteur aborde dans la dernière partie les remèdes possibles : ceux-ci consistent prioritairement à « mater l’offre » en réprimant les industries pathogènes. Pour ce faire plusieurs armes sont à la disposition des États, à condition qu’ils les utilisent : elles consistent à « réguler » en interdisant ou limitant l’accès aux produits dangereux, à les « taxer » et à « accompagner » la reconversion des industries concernées.

« Activités humaines » ou capitalisme ?

J-D Zeitoun dénonce avec vigueur et pertinence les errements d’un système qui détruit celles et ceux qu’il est censé faire vivre. Son horizon reste toutefois celui de la « régulation » d’un mode de production envisagé comme indépassable. L’irrationalité d’une société dont les activités produisent les outils de sa destruction est pourtant celle d’un système historiquement daté, régi par les lois du marché, de la concurrence, de la recherche du profit : le capitalisme. L’inefficacité des politiques publiques n’est pas due à des « erreurs », mais au fait que l’État est structurellement au service de ceux qui dominent cette société. C’est la raison de l’échec de politiques qui ont « proposé aux victimes de se défendre sans armes » et « donné aux coupables la liberté d’action qu’ils voulaient ». Imposer d’autres choix, plus contraignants, suppose la lutte et le rapport de forces.

Dans la conclusion de son ouvrage J-D Zeitoun, faisant référence à l’Homme révolté d’Albert Camus, dénonce les « crimes industriels qui participent au suicide de l’espèce » comme des « crimes logiques ». Il ajoute que « pour autant ces crimes ne sont pas intouchables et ils valent bien une révolte », celle-ci devant toutefois à ses yeux se différencier de « son dérapage vers la révolution ».

Celles et ceux pour qui « nos vies valent plus que leurs profits » liront néanmoins avec intérêt l’ouvrage de J-D Zeitoun, y puisant des arguments pour leur combat.

  • 1. Réseau international de chercheurs produisant des études épidémiologiques.