Publié le Mardi 20 février 2018 à 23h22.

L’Empire de la Révolution. Lénine et les musulmans de Russie

De Matthieu Renault. Éditions Syllepse, 146 pages, 10 euros.

« Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qui est une véritable révolution ».

Cette citation pourrait être mise en exergue du livre de Matthieu Renault, tant elle permet de suivre la pensée non dogmatique de Lénine, de ses premiers écrits sur la « colonisation intérieure » à son intervention directe dans le processus révolutionnaire et à ses prises de position en faveur de la « décolonisation » et de la « désimpérialisation » de la Russie.

La question (concrète) du droit à l’autodétermination

Cette enquête « fondamentalement inachevée », selon les termes de l’auteur, nous plonge, en quelque 150 pages, dans la théorie et la pratique concrète de Lénine autour du droit des nations à disposer d’elles-mêmes et, au-delà, au rapport avec l’Orient et les luttes d’émancipation nationales et anticoloniales dans l’empire russe, que Lénine appelle de ses vœux et ce, bien avant le fameux congrès des peuples d’Orient de Bakou.

En lisant ces pages, particulièrement étayées par les propos de Lénine, nous suivons les débats autour de la libération et la décolonisation, les avancées et les reculs des nations non formées à majorité musulmane, qui aspirent à l’émancipation de la tutelle de l’empire russe, même après la révolution de 1917.

Si bien sûr cet ouvrage convoque en partie le débat entre Rosa Luxemburg et Lénine sur le droit à l’autodétermination et la Pologne, il se décentre rapidement vers son sujet principal, l’Orient et les territoires du Bachkoutestan et du Turkestan, à très large majorité musulmane et paysanne, à propos desquels dès 1916 Lénine osait quelques parallèles audacieusement justes en parlant du Turkestan comme de « l’Algérie russe» ou encore des « Noirs de Russie »

Une pensée en évolution 

Outre l’intérêt historique et politique du débat contradictoire et des échanges suivis entre Lénine, des dirigeants bolchéviques mais aussi avec des révolutionnaires communistes musulmans, dirigeants des révoltes dans ces territoires, cette étude met le doigt sur l’évolution de la pensée dialectique de Lénine au contact des évènements concrets de la lutte des classes et des phénomènes nationaux. 

Avec une prudence extrême Lénine avance ses pions, même s’il est souvent mis en minorité, sans jamais se départir de sa conviction réaffirmant la différence entre « nation oppressive » et « nation opprimée » : « la dialectique de l’histoire fait que les petites nations […] jouent le rôle d’un des ferments, d’un des bacilles, qui favorisent l’entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l’impérialisme à savoir : le prolétariat socialiste ».

Cette enquête tonifiante, de son introduction étonnante et « chimérique » à sa conclusion fort contemporaine, vaut vraiment le temps d’une lecture assidue.

Thomas Delmonte